Au soleil
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Au soleil

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Recueils de 12 articles qui racontent les voyages de Maupassant.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635265985

Le Zar’ez

Comme je dĂ©jeunais un matin au fort de Boghar chez le capitaine du bureau arabe, un des officiers les plus obligeants et les plus capables qui soient dans le Sud, au dire des gens compĂ©tents, on parla d’une mission qu’allaient remplir deux jeunes lieutenants. Il s’agissait de faire un long crochet sur les territoires des cercles de Boghar, Djelfa et Bou-Saada pour dĂ©terminer les points d’eau. On craignait toujours une insurrection gĂ©nĂ©rale dĂšs la fin du ramadan et on voulait prĂ©parer la marche d’une colonne expĂ©ditionnaire Ă  travers les tribus qui peuplent cette partie du pays.
Aucune carte prĂ©cise n’existe encore de ces contrĂ©es. On n’a que les sommaires relevĂ©s topographiques faits par les rares officiers qui passent de temps en temps, les indications approximatives des sources et des puits, les notes griffonnĂ©es vivement sur le pommeau de la selle, et les rapides dessins faits Ă  l’oeil, sans instruments d’aucune sorte. je demandai aussitĂŽt l’autorisation de me joindre Ă  la petite troupe. Elle me fut accordĂ©e de la meilleure grĂące du monde.
Nous sommes partis deux jours plus tard.
Il Ă©tait trois heures du matin quand un spahi vint m’éveiller en frappant Ă  la porte de la pauvre auberge de Boukhrari.
Quand j’eus ouvert, l’homme se prĂ©senta avec sa veste rouge brodĂ©e de noir, son large pantalon plissĂ©, finissant au genou, lĂ  oĂč commencent les bas en cuir cramoisi des cavaliers du dĂ©sert. C’était un Arabe de taille moyenne. Son nez courbĂ© avait Ă©tĂ© fendu d’un coup de sabre et la cicatrice laissait ouverte toute la narine du cĂŽtĂ© gauche. Il s’appelait Bou-Abdallah.
Il me dit :
- Mossieu, ton cheval il est prĂȘt.
Je demandai :
- Le lieutenant est-il arrivé ?
Il me répondit :
- Va venir.
BientĂŽt, un bruit lointain s’éleva dans la vallĂ©e obscure et nue ; puis des ombres et des silhouettes apparurent, passĂšrent. je distinguai seulement les trois corps Ă©tranges et lents des trois chameaux qui portaient les cantines, nos lits de camps et les quelques objets que nous prenions pour un voyage de vingt jours dans une solitude Ă  peine connue des officiers eux-mĂȘmes.
Puis bientĂŽt, toujours dans la direction du fort de Boghar, retentit le galop rapide d’une troupe de cavaliers ; et les deux lieutenants qui s’en allaient en mission parurent avec leur escorte, composĂ©e d’un autre spahi et d’un cavalier arabe appelĂ© Dellis, un homme de grande tente, d’une illustre famille indigĂšne.
Je montai immĂ©diatement Ă  cheval, et l’on partit.
La nuit Ă©tait encore absolue, calme, on pourrait dire immobile. AprĂšs avoir remontĂ© quelque temps vers le nord, en suivant la vallĂ©e du ChĂ©lif, nous tournĂąmes Ă  droite dans un vallon, juste au moment oĂč le jour naissait.
En ce pays, soir et matin, le crĂ©puscule n’existe pas. Presque jamais on ne voit non plus ces belles nuĂ©es traĂźnantes, empourprĂ©es, dĂ©coupĂ©es, bigarrĂ©es et bizarres, saignantes ou enflammĂ©es, qui colorent nos horizons du Nord au moment oĂč le soleil se lĂšve, ainsi qu’à l’heure oĂč le soleil se couche.
Ici, c’est d’abord une lueur trĂšs vague, qui augmente, s’étend, envahit tout l’espace en quelques instants. Puis soudain, Ă  la crĂȘte d’un mont, ou bien au bord de la plaine infinie, le soleil apparaĂźt tel qu’il va monter au ciel, et sans avoir cet aspect rougeoyant, comme endormi encore, qu’ont ses levers en nos pays brumeux.
Mais ce qu’il y a de plus singulier dans ces aurores du dĂ©sert, c’est le silence.
Qui ne connaĂźt, chez nous, ce premier cri d’oiseau bien avant le jour, dĂšs les premiĂšres pĂąleurs du ciel ; puis, cet autre cri qui rĂ©pond dans l’arbre voisin ; puis enfin cet incessant charivari de sifflets, de ritournelles rĂ©pĂ©tĂ©es, de notes vives avec le chant lointain et continu des coqs ; toute cette rumeur du rĂ©veil des bĂȘtes, toute cette gaietĂ© des voix dans les feuilles.
Ici, rien. L’énorme soleil s’élĂšve au-dessus de cette terre qu’il a dĂ©vastĂ©e, et il semble dĂ©jĂ  la regarder en maĂźtre, comme pour voir si rien de vivant n’existe plus. Pas un cri de bĂȘte, sauf parfois le hennissement d’un cheval ; pas un mouvement de vie, sauf, lorsqu’on a campĂ© dans le voisinage d’un puits, le long, lent et muet dĂ©filĂ© des troupeaux qui s’en viennent boire.
Tout de suite la chaleur est brĂ»lante. On met, pardessus le capuchon de flanelle et le casque blanc, l’immense mĂ©dol, chapeau de paille Ă  bords dĂ©mesurĂ©s. Nous suivions le vallon, lentement. Aussi loin que la vue allait, tout Ă©tait nu, d’un gris jaune, ardent et superbe. Parfois, au milieu des bas fonds oĂč croupissait un reste d’eau, dans le lit vidĂ© des riviĂšres, quelques joncs verts faisaient une tache crue et toute petite ; parfois, dans un repli de la montagne, deux ou trois arbres indiquaient une source. Nous n’étions point encore dans la contrĂ©e assoiffĂ©e que nous devions bientĂŽt traverser.
On montait indĂ©finiment. D’autres petits vallons se jetaient dans le nĂŽtre ; et, Ă  mesure que nous approchions de midi, les horizons se perdaient un peu dans une lĂ©gĂšre buĂ©e de chaleur, dans une fumĂ©e de terre rĂŽtie, qui noyait les lointains en des tons Ă  peine bleus, Ă  peine roses, Ă  peine blancs, mais qui avaient cependant un peu de tout cela, et qui semblaient d’une douceur, d’une tendresse, d’un charme infinis, au-delĂ  de l’éclat aveuglant du paysage immĂ©diat.
Enfin on arriva sur la crĂȘte de la montagne, et le caĂŻd El-Akhedar-ben-Yahia, chez qui nous allions camper, apparut, venant vers nous, suivi de quelques cavaliers. C’est un Arabe de sang illustre, le fils du bach’agha Yahia-ben-AĂŻssa, surnommĂ© le "Bach’agha Ă  la jambe de bois".
Il nous conduisit au campement prĂ©parĂ© auprĂšs d’une source, sous quatre arbres gĂ©ants dont l’eau sans cesse baignait le .pied, seule verdure qu’on aperçut par tout l’horizon de sommets pierreux et secs qui s’étendent Ă  perte de vue autour de nous.
On servit tout de suite le dĂ©jeuner, auquel le ramadan interdisait au caĂŻd de prendre part. Mais, afin de veiller Ă  ce que nous ne manquions de rien, il s’assit en face de nous, Ă  cĂŽtĂ© de son frĂšre El-HaouĂ©s-ben-Yahia, caĂŻd des Oulad-Alane-Berchieh. Alors je vis s’approcher un enfant d’une douzaine d’annĂ©es, un peu grĂȘle, mais d’une grĂące fiĂšre et charmante, que j’avais dĂ©jĂ  remarquĂ©e quelques jours auparavant au milieu des Oulad-NaĂŻl dans le cafĂ© maure de Boukhrari.
J’avais Ă©tĂ© frappĂ© par la finesse et l’éclatante blancheur de vĂȘtements de ce frĂȘle petit Arabe, par son allure noble, et par le respect que chacun semblait lui tĂ©moigner ; et, comme je m’étonnais qu’on le laissĂąt ainsi rĂŽder, Ă  cet Ăąge, au milieu des courtisanes, on me rĂ©pondit :
- C’est le plus jeune fils du bach’agha. Il vient ici pour apprendre la vie et connaütre les femmes ! ! !
Comme nous voici loin de nos moeurs françaises !
L’enfant me reconnut aussi et vint gravement me tendre la main. Puis, comme son Ăąge ne le contraignait pas encore au jeune, il s’assit avec nous et se mit, de ses petits doigts fins et maigres, Ă  dĂ©pecer le mouton rĂŽti. Et je crus comprendre que ses grands frĂšres, les deux caĂŻds, qui devaient avoir environ quarante ans, le plaisantaient sur son voyage au ksar, lui demandant d’oĂč lui venait cette cravate de soie qu’il portait au cou, si c’était un cadeau de femme ?
Ce jour-lĂ , l’ombre des arbres nous permit de faire la sieste. je me rĂ©veillai comme le soir tombait, et je gravis un monticule voisin pour avoir l’oeil sur tout l’horizon.
Le soleil, prĂšs de disparaĂźtre, se teintait de rouge, au milieu d’un ciel orange. Et partout, du nord au midi, de l’est Ă  l’ouest, les files de montagnes dressĂ©es sous mes yeux jusqu’aux extrĂȘmes limites du regard Ă©taient roses, d’un rose extravagant comme les plumes des flamants. On eĂ»t dit une fĂ©erique apothĂ©ose d’opĂ©ra d’une surprenante et invraisemblable couleur, quelque chose de factice, de forcĂ© et contre nature, et de singuliĂšrement admirable cependant.
Le lendemain, nous redescendions dans la plaine de l’autre cĂŽtĂ© de la montagne, une plaine infinie que nous mimes trois jours Ă  traverser, bien qu’on vĂźt distinctement la chaĂźne du Djebel-Gada qui la fermait en face de nous.
C’était tantĂŽt une morne Ă©tendue de sable, ou plutĂŽt de poussiĂšre de terre, tantĂŽt un ocĂ©an de touffes d’alfa piquĂ©es au hasard dans le sol et qui forçaient nos chevaux Ă  ne marcher qu’en zigzag.
Ces plaines d’Afrique sont surprenantes.
Elles paraissent nues et plates comme un parquet, et elles sont, au contraire, sans cesse traversĂ©es d’ondulations, comme une mer aprĂšs la tempĂȘte, qui, de loin, semble toute calme parce que la surface est lisse, mais que remuent de longs soulĂšvements tranquilles. Les pentes de ces vagues de terre sont insensibles ; jamais on ne perd de vue les montagnes de l’horizon, mais dans l’ondulation parallĂšle, Ă  deux kilomĂštres de vous, une armĂ©e pourrait se cacher et vous ne la verriez point. C’est ce qui rendit si difficile la poursuite de Bou-Amama sur les hauts plateaux alfatiers du Sud oranais.
Chaque matin, on se remet en marche dĂšs l’aurore Ă  travers ces interminables et mornes Ă©tendues ; chaque soir, on aperçoit venir quelques hommes Ă  cheval et drapĂ©s de blanc qui vous conduisent vers une tente rapiĂ©cĂ©e sous laquelle des tapis sont Ă©talĂ©s. On mange tous les jours les mĂȘmes choses, on cause un peu, puis l’on dort, ou l’on rĂȘve.
Et, si vous saviez comme on est loin, loin du monde, loin de la vie, loin de tout, sous cette petite tente basse qui laisse voir, par ses trous, les Ă©toiles et, par ses bords relevĂ©s, l’immense pays du sable aride !
Elle est monotone, toujours pareille, toujours calcinĂ©e et morte, cette terre-lĂ  ; et, lĂ , pourtant, on ne dĂ©sire rien, on n’aspire Ă  rien. Ce paysage calme, ruisselant de lumiĂšre et dĂ©solĂ©, suffit Ă  l’oeil, suffit Ă  la pensĂ©e, satisfait les sens et le rĂȘve, parce qu’il est complet, absolu, et qu’on ne pourrait le concevoir autrement. La rare verdure mĂȘme y choque comme une chose fausse, blessante et dure.
C’est tous les jours, aux mĂȘmes heures, le mĂȘme spectacle : le feu mangeant un monde ; et, sitĂŽt que le soleil s’est couchĂ©, la lune, Ă  son tour, se lĂšve sur l’infinie solitude. Mais, chaque jour, peu Ă  peu, le dĂ©sert silencieux vous envahit, vous pĂ©nĂštre la pensĂ©e comme la dure lumiĂšre vous calcine la peau ; et l’on voudrait devenir nomade Ă  la façon de ces hommes qui changent de pays sans jamais changer de patrie, au milieu de ces interminables espaces toujours Ă  peu prĂšs semblables.
Chaque jour, l’officier en tournĂ©e envoie en avant un cavalier indigĂšne pour prĂ©venir le caĂŻd chez qui il mangera et dormira le lendemain, afin que celui-ci puisse prĂ©lever dans sa tribu la nourriture des hommes et des bĂȘtes. Cette coutume, qui Ă©quivaut aux billets de logement chez l’habitant des villes en France, devient fort onĂ©reuse pour les tribus par la maniĂšre dont elle est pratiquĂ©e.
Qui dit Arabe dit voleur, sans exception. Voici donc comment les choses se passent. Le caĂŻd s’adresse Ă  un chef de fraction et rĂ©clame cette redevance de ses hommes.
Pour s’exempter de cet impĂŽt et de cette corvĂ©e, le chef de fraction paie. Le caĂŻd empoche et s’adresse Ă  un autre qui souvent aussi s’exonĂšre de la mĂȘme façon. Enfin, il faut bien que l’un d’eux s’exĂ©cute.
Si le caĂŻd a un ennemi, la charge tombe sur celui-lĂ , qui procĂšde, vis-Ă -vis des simples Arabes, de la mĂȘme façon que le caĂŻd vis-Ă -vis des cheiks.
Et voilà comment un impÎt, qui ne devrait pas coûter plus de vingt à trente francs à chaque tribu, lui coûte quatre à cinq cents francs invariablement.
Et il est impossible encore de changer cela, pour une infinité de raisons trop longues à développer ici.
DĂšs qu’on approche d’un campements on aperçoit au loin un groupe de cavaliers qui vient vers vous. Un d’eux marche seul, en avant. Ils vont au pas, ou au trot. Puis, tout Ă  coup, ils s’élancent au galop, un galop furieux, que nos bĂȘtes du Nord ne supporteraient pas deux minutes. C’est le galop des chevaux de course, qui ressemble au passage d’un train express. Mais l’Arabe reste presque droit sur sa selle, avec ses vĂȘtements blancs flottants ; et, d’une seule secousse, il arrĂȘte l’animal qui flĂ©chit sur ses jambes. Puis, il saute Ă  terre d’un bond, et s’avance respectueux, vers l’officier, dont il baise la main.
Quels que soient le titre de l’Arabe, son origine, sa puissance et sa fortune, il baise presque toujours la main des officiers qu’il rencontre.
Puis le caĂŻd se remet en selle et dirige les voyageurs vers la tente qu’il leur a fait prĂ©parer. On s’imagine gĂ©nĂ©ralement que les tentes arabes sont blanches, Ă©clatantes au soleil. Elles sont au contraire d’un brun sale, rayĂ© de jaune. Leur tissu trĂšs Ă©pais, en poil de chameau et de chĂšvre, semble grossier. La tente est fort basse (on s’y tient tout juste debout) et trĂšs Ă©tendue. Des piquets la supportent d’une façon assez irrĂ©guliĂšre, et tous les bords sont relevĂ©s ce qui permet Ă  l’air de circuler librement dessous.
MalgrĂ© cette prĂ©caution, la chaleur est Ă©crasante, pendant le jour, dans ces demeures de toile ; mais les nuits y sont dĂ©licieuses, et on dort merveilleusement sur les Ă©pais et magnifiques tapis du Djebel-Amour, bien qu’ils soient peuplĂ©s d’insectes.
Les tapis constituent le seul luxe des Arabes riches. On les entasse les uns sur les autres, on en forme des amoncellements, et on les respecte infiniment, car chaque homme retire sa chaussure pour marcher dessus, comme à la porte des mosquées.
AussitĂŽt que ses hĂŽtes sont assis, ou plutĂŽt Ă©tendus Ă  terre, le caĂŻd fait apporter le cafĂ©. Ce cafĂ© est exquis. La recette pourtant est simple. On le broie au lieu de le moudre, on y mĂ©lange une quantitĂ© respectable d’ambre gris, puis on le fait bouillir dans l’eau.
Rien de drĂŽle comme la vaisselle arabe. Quand un riche caĂŻd vous reçoit, sa tente est ornĂ©e de tentures inapprĂ©ciables, de coussins admirables et de tapis merveilleux ; puis vous voyez arriver un vieux plateau de tĂŽle supportant quatre tasses Ă©brĂ©chĂ©es, fĂȘlĂ©es, hideuses, qui semblent achetĂ©es Ă  quelque bazar des boulevards extĂ©rieurs, Ă  Paris. Il y en a de toutes les grandeurs et de toutes les formes, porcelaine anglaise, imitation du japon, Creil commun, tout ce qu’on a fait de plus laid et de plus grossier en faĂŻence dans toutes les parties du monde.
Le café est apporté dans un vieux pot à tisane, ou dans une gamelle de troupier, ou dans une inénarrable cafetiÚre en plomb, déformée, bossuée, qui semble malade.
Peuple Ă©trange, enfantin, demeurĂ© primitif comme Ă  la naissance des races. Il passe sur la terre sans s’y attacher, sans s’y installer. Il n’a pour maisons que des linges tendus sur des bĂątons, il ne possĂšde aucun des objets sans lesquels la vie nous semblerait impossible. Pas de lits, pas de draps, pas de tables, pas de siĂšges, pas une seule de ces petites choses indispensables qui font commode l’existence. Aucun meuble pour rien serrer, aucune industrie, aucun art, aucun savoir en rien. Il sait Ă  peine coudre les peaux de bouc pour emporter l’eau, et il emploie en toutes circonstances des procĂ©dĂ©s tellement grossiers qu’on en demeure stupĂ©fait.
Il ne peut mĂȘme pas raccommoder sa tente que dĂ©chire le vent ; et les trous sont nombreux dans le tissu brunĂątre que la pluie traverse Ă  son grĂ©. Ils ne semblent attachĂ©s ni au sol ni Ă  la vie, ces cavaliers vagabonds qui posent une seule pierre sur la place oĂč dorment leurs morts, une grosse pierre quelconque ramassĂ©e sur la montagne voisine. Leurs cimetiĂšres ressemblent Ă  des champs, oĂč se serait Ă©croulĂ©e, autrefois, une maison europĂ©enne.
Les nĂšgres ont des cases, les Lapons ont des trous, les Esquimaux ont des huttes, les plus sauvages des sauvages ont une demeure creusĂ©e dans le sol ou plantĂ©e dessus ; ils tiennent Ă  leur mĂšre la terre. Les Arabes passent, toujours errants, sans attaches, sans tendresse pour cette terre que nous possĂ©dons, que nous rendons fĂ©conde, que nous aimons avec les fibres de notre coeur humain ; ils passent au galop de leurs chevaux, inhabiles Ă  tous nos travaux, indiffĂ©rents Ă  nos soucis, comme s’ils allaient toujours quelque part oĂč ils n’arriveront jamais.
Leurs coutumes sont restées rudimentaires. Notre civilisation glisse sur eux sans les effleurer.
Ils boivent Ă  l’orifice mĂȘme de la peau de bouc ; mais on prĂ©sente l’eau aux Ă©trangers dans une collection de rĂ©cipients invraisemblables. Tout s’y trouve, depuis la casserole de fer jusqu’au bidon dĂ©foncĂ©. S’ils s’emparaient, dans quelque razzia, d’un de nos chapeaux parisiens Ă  haute forme, ils le conserveraient assurĂ©ment pour offrir Ă  boire dedans au premier gĂ©nĂ©ral qui traverserait la tribu.
Leur cuisine se compose uniquement de quatre ou cinq plats. L’ordre de ces plats ne varie point.
On prĂ©sente d’abord le mouton rĂŽti en plein air. Un homme l’apporte tout entier sur son Ă©paule au bout d’une perche qui a servi de broche ; et la silhouette de la bĂȘte Ă©corchĂ©e, juchĂ©e en l’air, fait songer Ă  quelque exĂ©cution du moyen Ăąge. Elle se profile, le soir, sur le ciel rouge, d’une façon sinistre et burlesque, tenue ainsi par un personnage sĂ©vĂšre et drapĂ© de blanc.
Ce mouton est dĂ©posĂ© dans une corbeille plate d’alfa tressĂ©, au milieu du cercle des mangeurs assis en rond, Ă  la turque. La fourchette est inconnue ; on dĂ©pĂšce avec les doigts ou avec un petit couteau indigĂšne Ă  manche de corne. La peau rissolĂ©e, vernie par le feu et croustillante, passe pour ce qu’il y a de plus fin. On l’arrache par longues plaques et on la croque en buvant soit de l’eau toujours bourbeuse, soit du lait de chamelle coupĂ© d’eau par moitiĂ©, soit du lait aigre qui a fermentĂ© dans une peau de bouc, dont il prend le goĂ»t fortement musquĂ©. Les Arabes appellent "leben" cette boisson mĂ©diocre.
AprĂšs l’entrĂ©e apparaĂźt, tantĂŽt dans une jatte, tantĂŽt dans une cuvette, tantĂŽt dans une marmite antique, une espĂšce de pĂątĂ©e au vermicelle. Le fond de ce potage est un jus jaunĂątre oĂč le piment se bat avec le poivre rouge dans un mĂ©lange d’abricots secs et de dattes pilĂ©s ensemble.
Je ne recommande pas ce bouillon aux gourmets.
Quand le caĂŻd qui vous reçoit est magnifique, on sert ensuite le hamis ; ce mets est remarquable. Je serai peut-ĂȘtre ...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Au soleil
  3. La mer
  4. Alger
  5. La Province d’Oran
  6. Bou-Amama
  7. Province d’Alger
  8. Le Zar’ez
  9. La Kabylie-Bougie
  10. Constantine
  11. Aux eaux
  12. En Bretagne
  13. Au Creusot