Mon ermitage possĂšde une allĂ©e de lilas, profonde et large. Mai venu, lorsque les deux rangs dâarbustes, ployant sous la charge des grappes fleuries, se courbent en arcs dâogive, cette allĂ©e devient une chapelle, oĂč se cĂ©lĂšbre, au soleil caressant de la matinĂ©e, la plus belle fĂȘte de lâan ; fĂȘte paisible, sans drapeaux claquant aux fenĂȘtres, sans poudre brĂ»lĂ©e, sans rixes aprĂšs boire ; fĂȘte des simples, que ne troublent ni les cuivres rauques du bal, ni les cris de la foule acclamant lâamateur qui vient de gagner aux trois sauts un foulard de quarante sous. Grosses joies Ă pĂ©tards et libations, que vous ĂȘtes loin de cette solennitĂ© !
Je suis un des fidĂšles Ă la chapelle des lilas. Mon oraison, non traduisible en vocables, est un Ă©moi intime qui doucement remue. DĂ©votement je fais mes stations dâun pilier de verdure Ă lâautre, jâĂ©grĂšne pas Ă pas mon rosaire dâobservateur. Ma priĂšre est un oh ! dâadmiration.
Ă la dĂ©licieuse fĂȘte, des pĂšlerins sont accourus gagner les indulgences du printemps et boire une lampĂ©e. Il y a lĂ , trempant tour Ă tour la langue dans le bĂ©nitier de la mĂȘme fleur, lâAnthophore et son tyran la MĂ©lecte. DĂ©trousseurs et dĂ©troussĂ©s sirotent en bons voisins. Pas de rancune entre eux. Chacun en paix fait ses affaires. Ils semblent ne pas se connaĂźtre.
Des Osmies, habillĂ©es de velours mi-parti noir et rouge, se poudrent de pollen la brosse ventrale et font amas de farine dans les roseaux du voisinage. Ceux-ci sont les Ăristales, bruyants Ă©tourdis dont les ailes miroitent au soleil ainsi que des Ă©cailles de mica. Ivres de sirop, ils se retirent du festival et cuvent leur boisson Ă lâombre dâune feuille.
Ces autres sont les GuĂȘpes, les Polistes, bretteurs irritables. Sur le passage de ces intolĂ©rants, les pacifiques font retraite, vont sâinstaller ailleurs. LâAbeille mĂȘme, dominante en nombre, lâAbeille, qui si facilement dĂ©gaine, leur cĂšde le pas, tant elle est affairĂ©e de rĂ©colte.
Ces papillons trapus, richement bariolĂ©s, sont des SĂ©sies, qui nĂ©gligent de se couvrir en entier les ailes de poussiĂšre Ă©cailleuse. Leurs zones dĂ©nudĂ©es, simple gaze transparente, font contraste avec les zones vĂȘtues et sont une beautĂ© de plus. Le sobre donne relief au somptueux.
Ce fol essaim qui tourbillonne, sâen va, revient, descend, remonte, est le ballet de la plĂšbe lĂ©pidoptĂšre, de la PiĂ©ride du chou, toute blanche avec ocelle noir. On sâagace dans les airs, on se poursuit, on se lutine. LassĂ© des Ă©bats, tantĂŽt lâun, tantĂŽt lâautre des valseurs reprend pied sur les lilas et sâabreuve Ă lâamphore des fleurs. Tandis que la trompe plonge et suce au fond de lâĂ©troit goulot, les ailes, en une molle oscillation, se dressent sur le dos, sâĂ©talent de nouveau, se redressent.
Presque aussi nombreux, mais dâenvolĂ©e moins brusque Ă cause de sa large envergure, est le Machaon, le magnifique porte-queue, Ă cocardes orangĂ©es et lunules bleues.
Les enfants sont venus me rejoindre. Ils sâextasient devant la gracieuse crĂ©ature, qui chaque fois Ă©vite la main lancĂ©e et sâen va un peu plus loin sonder la sucrerie des fleurs, tout en mouvant les ailes Ă la façon des PiĂ©rides. Si la Pompe fonctionne paisible au soleil, si le sirop monte bien, ce mol balancement alaire est pour eux tous marque de satisfaction.
Capture ! Anna, la plus jeune de toute la maisonnĂ©e, renonce aux Machaons, qui nâattendent jamais sa petite main leste. Elle a trouvĂ© mieux Ă son goĂ»t. Câest la CĂ©toine. Non encore revenu de la fraĂźcheur matinale, le bel insecte, tout dorĂ©, sommeille sur les lilas, inconscient du danger, incapable de fuir. Il abonde. Cinq ou six sont vite cueillis. Jâinterviens pour quâon laisse en paix les autres. Le butin est mis dans une boĂźte avec litiĂšre de fleurs. Plus tard, aux heures chaudes, la CĂ©toine, un long fil nouĂ© Ă la patte, volera en rond, autour de la tĂȘte de lâenfant.
Cet Ăąge est sans pitiĂ© parce quâil ne sait pas, et rien nâest cruel comme lâignorance. Nul de mes Ă©tourdis ne prendra garde aux misĂšres de la bestiole, triste galĂ©rien qui traĂźne son boulet. Ils sâamuseront dâun supplice, les naĂŻfs. Je nâose toujours y mettre ordre, me reconnaissant coupable Ă mon tour, bien que mĂ»ri par lâexpĂ©rience, quelque peu civilisĂ© et commençant Ă savoir. Ils tourmentent pour sâamuser, je tourmente pour mâinstruire : au fond, nâest-ce pas mĂȘme chose ? Y a-t-il une ligne de dĂ©marcation bien nette entre les expĂ©rimentations du savoir et les puĂ©rilitĂ©s du jeune Ăąge ? Je nâen vois pas.
Pour faire parler lâaccusĂ©, la barbarie humaine employait autrefois le supplice de la question. Suis-je autre chose quâun tortionnaire quand jâinterroge mes bĂȘtes et les soumets Ă la question pour leur arracher quelque secret ? Laissons Anna jouir Ă sa guise de ses prisonniers, car je mĂ©dite quelque chose de pire. La CĂ©toine a des rĂ©vĂ©lations Ă nous faire, intĂ©ressantes, je nâen doute pas. TĂąchons de les obtenir. Cela ne se fera pas, bien entendu, sans graves ennuis pour la bĂȘte. Ainsi soit, et passons : en faveur de lâhistoire, faisons taire nos scrupules pacifiques.
Parmi les invitĂ©s aux fĂȘtes du lilas, la CĂ©toine mĂ©rite mention trĂšs honorable. Elle est de belle taille, propice Ă lâobservation. Si elle manque dâĂ©lĂ©gance dans sa configuration massive, carrĂ©ment coupĂ©e, elle a pour elle le somptueux : rutilance du cuivre, Ă©clair de lâor, sĂ©vĂšre Ă©clat du bronze tel que le donne le polissoir du fondeur. Elle est une habituĂ©e de lâenclos, une voisine, et de ce fait elle mâĂ©pargnera des courses qui commencent Ă me peser. Enfin, condition excellente quand on dĂ©sire ĂȘtre compris de tous, elle est connue de chacun, sinon sous sa dĂ©nomination classique, du moins comme objet non Ă©tranger au regard.
Qui ne lâa vue, pareille Ă une grosse Ă©meraude couchĂ©e au sein dâune rose, dont elle relĂšve le tendre incarnat par la richesse de sa joaillerie ? En ce lit voluptueux dâĂ©tamines et de pĂ©tales, elle sâincruste, immobile ; elle y passe la nuit, elle y passe le jour, enivrĂ©e de senteur capiteuse et grisĂ©e de nectar. Il faut lâaiguillon dâun Ăąpre soleil pour la tirer de sa bĂ©atitude et la faire envoler dâun essor bourdonnant.
Ă voir, sans autre information, la paresseuse en son lit de sybarite, on ne se douterait guĂšre de sa gloutonnerie. Pour se sustenter, que peut-elle trouver sur une rose, sur un corymbe dâaubĂ©pine ? Tout au plus une gouttelette dâexsudation sucrĂ©e, car elle ne broute pas les pĂ©tales, encore moins le feuillage. Et cela, ce rien, suffirait Ă ce grand corps ! JâhĂ©site Ă le croire.
La premiĂšre semaine du mois dâaoĂ»t, je mets en voliĂšre une quinzaine de CĂ©toines qui viennent de rompre leurs coques dans mes bocaux dâĂ©ducation. BronzĂ©es en dessus, violacĂ©es en dessous, elles appartiennent Ă lâespĂšce Cetonia metallica Fab. Je leur sers, suivant les ressources du jour, des poires, des prunes, du melon, des raisins.
Câest bĂ©nĂ©diction que de les voir festoyer. Les attablĂ©es ne bougent plus. Rien, pas mĂȘme un dĂ©placement du bout des pattes. La tĂȘte dans la purĂ©e, souvent mĂȘme le corps noyĂ© en plein dans la marmelade, on lippe, on dĂ©glutit, de jour, de nuit, Ă lâombre, au soleil, sans discontinuer. SoulĂ©es de sucrerie, les goulues ne lĂąchent prise. AffalĂ©es sous la table, câest-Ă -dire sous le fruit diffluent, elles pourlĂšchent toujours, en cette bĂ©ate somnolence de lâenfant qui sâendort avec la tartine de confiture aux lĂšvres.
Aucun Ă©bat dans lâorgie, mĂȘme lorsque le soleil donne bien ardent au sein de la voliĂšre. LâactivitĂ© est suspendue, tout le temps appartient aux liesses du ventre. Par ces chaleurs torrides, on est si bien sous la prune reine-Claude, suçant le sirop ! En telles dĂ©lices, Ă quoi bon lâessor dans les champs oĂč tout est brĂ»lĂ© ? Nulle nây songe. Pas dâescalade contre le grillage de la voliĂšre, pas dâailes brusquement Ă©talĂ©es en un essai dâĂ©vasion.
Cette vie de bombance dure dĂ©jĂ depuis une quinzaine sans amener la satiĂ©tĂ©. Telle durĂ©e de banquet nâest pas frĂ©quente ; on ne la trouve pas mĂȘme chez les Bousiers, eux aussi fervents consommateurs. Lorsque le ScarabĂ©e sacrĂ©, filant sa cordelette ininterrompue de scories intestinales, sâest tenu une journĂ©e sur un morceau de choix, câest tout ce que peut se permettre le goinfre. Or voici deux semaines que mes CĂ©toines sont attablĂ©es Ă la confiserie de la prune et de la poire, et rien nâindique encore quâelles en aient assez. Ă quand la fin de lâorgie, Ă quand les noces et les soucis de lâavenir ?
Eh bien, de noces et de soins de famille, il nây en aura pas dans la prĂ©sente annĂ©e. Câest diffĂ©rĂ© Ă lâan prochain : retard singulier, en dĂ©saccord avec les usages habituels, trĂšs expĂ©ditifs en ces graves affaires. Câest la saison des fruits, et la CĂ©toine, passionnĂ© gourmet, veut jouir de ces bonnes choses sans ĂȘtre dĂ©tournĂ©e par les tracas de la ponte. Les jardins ont la poire fondante, la figue ridĂ©e dont lâĆil sâhumecte de sirop. La friande en prend possession et sây oublie.
Cependant la canicule se fait de plus en plus implacable. Chaque jour, comme disent nos paysans, une bourrĂ©e de plus sâajoute au brasier du soleil. Comme le froid, la chaleur en excĂšs suspend la vie. Alors, pour tuer le temps, gelĂ©s et rĂŽtis sommeillent. Les CĂ©toines de ma voliĂšre se terrent dans le sable, Ă une paire de pouces de profondeur. Les fruits les plus sucrĂ©s ne les tentent plus ; il fait trop chaud.
Il faut la tempĂ©rature modĂ©rĂ©e de septembre pour les tirer de leur torpeur. Ă cette Ă©poque, elles reparaissent Ă la surface ; elles sâattablent Ă mes Ă©corces de melon, elles sâabreuvent Ă un grappillon de raisin, mais sobrement, en brĂšves sĂ©ances. Ont disparu, pour ne plus revenir, la fringale du dĂ©but et ses interminables ventrĂ©es.
Viennent les froids. De nouveau mes captives disparaissent sous terre. Câest lĂ quâelles passent lâhiver, protĂ©gĂ©es seulement par une couche de sable de quelques travers de doigt. Sous cette mince couverture, en leur abri de planches ouvert Ă tous les vents, elles ne sont pas compromises par les fortes gelĂ©es. Je me les figurais frileuses ; je les trouve dâune remarquable rĂ©sistance aux rudesses de lâhiver. Elles ont gardĂ© le tempĂ©rament robuste des larves, quâautrefois jâadmirais durcies dans un bloc de neige congelĂ©e et revenant aprĂšs Ă la vie par un dĂ©gel mĂ©nagĂ©.
Mars nâest pas fini que lâanimation reparaĂźt. Mes enterrĂ©es surgissent, grimpent au treillis, vagabondent si le soleil est doux, redescendent dans le sable si lâair fraĂźchit. Que leur donner ? Il nây a plus de fruits. Je leur sers du miel dans un godet de papier. Elles y viennent sans assiduitĂ© bien marquĂ©e. Trouvons mieux Ă leur goĂ»t. Je leur offre des dattes. Le fruit exotique, exquise pulpe dans un sac de mince Ă©piderme, leur agrĂ©e trĂšs bien malgrĂ© sa nouveautĂ© : elles ne feraient pas plus de cas de la poire et de la figue. La datte nous conduit en fin avril, saison des premiĂšres cerises.
Nous voici revenus aux vivres rĂ©glementaires, les fruits du pays. Il en est fait consommation trĂšs modĂ©rĂ©e : lâheure est passĂ©e des prouesses gastriques. BientĂŽt mes pensionnaires deviennent indiffĂ©rentes Ă la nourriture. Je surprends des pariades, signe dâune prochaine ponte. En prĂ©vision des Ă©vĂ©nements, jâai disposĂ© dans la voliĂšre, Ă fleur de terre, un pot plein de feuilles brunies, Ă demi corrompues. Câest lĂ que, vers le solstice, je les vois pĂ©nĂ©trer, tantĂŽt lâune, tantĂŽt lâautre, et quelque temps y sĂ©journer. Puis, les affaires terminĂ©es, elles remontent Ă la surface. Une Ă deux semaines encore, elles errent ; finalement elles se blottissent dans le sable Ă peu de profondeur et pĂ©rissent.
Les successeurs sont dans le pot Ă feuilles pourries. Avant que juin soit terminĂ©, je trouve en abondance, dans le tiĂšde amas, des Ćufs rĂ©cents et de trĂšs jeunes larves. Jâai maintenant lâexplication dâune singularitĂ© qui nâa pas manquĂ© de jeter quelques troubles dans mes premiĂšres Ă©tudes. En fouillant le grand tas de terreau qui, dans un coin ombragĂ© du jardin, me fournit chaque annĂ©e riche population de CĂ©toines, il mâarrivait, en juillet et aoĂ»t, de rencontrer sous ma houlette des coques intactes, qui devaient prochainement se rompre sous la poussĂ©e de lâinsecte inclus ; je trouvais aussi la CĂ©toine adulte, sortie le jour mĂȘme de son coffret, et tout Ă cĂŽtĂ© je cueillais aussi des larves trĂšs jeunes, en leurs dĂ©buts. Jâavais sous les yeux lâinsensĂ© paradoxe de fils nĂ©s avant les parents.
La voliĂšre a fait plein jour sur ces obscuritĂ©s. Elle mâa appris que la CĂ©toine, sous la forme adulte, vit une annĂ©e entiĂšre, dâun Ă©tĂ© au suivant. La coque se rompt pendant les ardeurs estivales, en juillet et aoĂ»t. Il serait de rĂšgle, la saison sây prĂȘtant, de sâoccuper aussitĂŽt de la famille, aprĂšs quelques Ă©bats nuptiaux. Ainsi se comportent gĂ©nĂ©ralement les autres insectes. Pour eux, la forme actuelle est une floraison de durĂ©e temporaire, que les exigences de lâavenir utilisent au plus vite.
La CĂ©toine nâa pas cette hĂąte. Grosse mangeuse elle Ă©tait en son Ăąge de ver pansu, grosse mangeuse elle reste sous les somptuositĂ©s de sa cuirasse dâadulte. Sa vie, tant que les chaleurs ne sont pas trop accablantes, elle la passe Ă la confiserie des fruits, abricots et poires, pĂȘches, figues et prunes. AttardĂ©e dans ses lippĂ©es, elle oublie le reste et remet la ponte Ă lâannĂ©e suivante.
AprĂšs la torpeur de lâhivernation dans un abri quelconque, elle reparaĂźt dĂšs les premiers jours du printemps. Mais alors les fruits manquent, et la goulue de lâĂ©tĂ© dernier, devenue sobre dâailleurs, soit par nĂ©cessitĂ©, soit par tempĂ©rament, nâa dâautre ressource que lâavare buvette des fleurs. Juin venu, elle sĂšme ses Ćufs dans un amas de terreau, Ă cĂŽtĂ© des coques dâoĂč va sortir un peu plus tard lâinsecte adulte. On a de la sorte, si lâon nâest au courant de la chose, la folle apparence de lâĆuf prĂ©cĂ©dant la pondeuse.
Parmi les CĂ©toines parues dans le courant de la mĂȘme annĂ©e, deux gĂ©nĂ©rations sont donc Ă distinguer. Celles du printemps, hĂŽtes des roses, ont passĂ© lâhiver. Elles doivent pondre en juin et pĂ©rir aprĂšs. Celles de lâautomne, passionnĂ©es de fruits, ont rĂ©cemment quittĂ© leurs habitacles de nymphes. Elles hiverneront et feront leur ponte vers le solstice de lâĂ©tĂ© suivant.
Nous sommes aux plus longs jours ; câest le moment. Ă lâombre des pins et contre le mur de clĂŽture est un amas, de quelques mĂštres cubes, formĂ© de tous les dĂ©tritus du jardin, surtout de feuilles mortes cueillies Ă lâĂ©poque de leur chute. Câest la fabrique Ă terreau pour les besoins de mes cultures en pots. Or, ce banc de pourriture que travaille, quâattiĂ©dit une lente dĂ©composition, est un Ăden pour les CĂ©toines en leur Ă©tat larvaire. Le ver bedonnant y fourmille, trouvant lĂ provende copieuse en matiĂšres vĂ©gĂ©tales fermentĂ©es, et douce tempĂ©rature, mĂȘme au cĆur de lâhiver.
Quatre espĂšces lâhabitent, excellemment prospĂšres, malgrĂ© les tracas que leur vaut ma curiositĂ©. La plus frĂ©quente est la CĂ©toine mĂ©tallique (Cetonia metallica Fab.). Câest elle qui me fournit la majeure part des documents. Les autres sont la vulgaire CĂ©toine dorĂ©e (Cetonia aurata Linn.), la CĂ©toine dâun noir mat (Cetonia morio Fab.), enfin la petite CĂ©toine drap-mortuaire (Cetonia stictica Linn.).
Vers les neuf et dix heures du matin, surveillons le tas. Soyons assidus et patients, car lâarrivĂ©e des pondeuses est sujette Ă caprices et bien des fois fait attendre en vain. La chance nous favorise. Voici une CĂ©toine mĂ©tallique survenue des environs. En larges circuits, elle vole, revole au-dessus de lâamas ; elle inspecte de haut les lieux, elle choisit un point dâaccĂšs facile. Frou ! elle sâabat, fouille du front et des pattes ; aussitĂŽt elle pĂ©nĂštre. De quel cĂŽtĂ© va-t-elle ?
Dâabord lâouĂŻe renseigne sur la direction suivie : on entend un froissement de feuilles sĂšches tant que lâinsecte travaille dans les ariditĂ©s de la couche extĂ©rieure. Puis plus rien, silence : la CĂ©toine est arrivĂ©e dans la moite Ă©paisseur. LĂ , et seulement lĂ , doit se faire la ponte, afin que le vermisseau sortant de lâĆuf trouve, sans recherche, tendre nourriture sous la dent. Laissons la pondeuse Ă ses affaires et revenons une paire dâheures aprĂšs.
Mais avant, portons notre rĂ©flexion sur ce qui vient de se passer. Un superbe insecte, bijou de lâorfĂšvrerie vivante, sommeillait tantĂŽt au sein dâune rose, sur le satin des pĂ©tales et dans la suavitĂ© des parfums. Et voici que ce luxueux Ă dalmatique dâor, cet abreuvĂ© dâambroisie, brusquement quitte sa fleur et sâenterre dans le pourri ; il abandonne le somptueux hamac embaumĂ© dâessence, pour descendre dans lâordure nausĂ©euse. DâoĂč lui vient cette soudaine dĂ©pravation ?
Il sait que son ver fera rĂ©gal de ce quâil abhorre lui-mĂȘme et, surmontant sa rĂ©pugnance, nây songeant mĂȘme pas, il plonge. Est-il incitĂ© par le souvenir de son Ăąge de larve ? Que peut bien ĂȘtre chez lui le souvenir du manger aprĂšs un an dâintervalle, et surtout aprĂšs une refonte totale de lâorganisation ? Pour attirer la CĂ©toine, la faire venir de la rose Ă lâamas putride, il y a mieux que la mĂ©moire du ventre : il y a une impulsion aveugle, irrĂ©sistible, qui rĂ©alise le trĂšs logique sous les apparences de lâinsensĂ©.
Revenons au tas de terreau. Le bruit des feuilles sĂšches froissĂ©e nous a renseignĂ©s approximativement ; nous savons en quel point la fouille doit porter, fouille minutieuse, hĂ©sitante, car il sâagit de suivre la pondeuse Ă la piste. GuidĂ© par les matĂ©riaux quâa refoulĂ©s le passage de lâinsecte, on arrive tout de mĂȘme au but. Les Ćufs sont trouvĂ©s, dissĂ©minĂ©s sans ordre, toujours isolĂ©s, sans nul prĂ©paratif. Il suffit quâĂ proximitĂ© soient des matiĂšres vĂ©gĂ©tales tendres, fermentĂ©es Ă point.
LâĆuf est un globule dâivoire, peu Ă©loignĂ© de la forme sphĂ©rique et mesurant prĂšs de trois millimĂštres. LâĂ©closion a lieu une douzaine de jours aprĂšs. Le vermisseau est blanc, hĂ©rissĂ© de cils courts et clairsemĂ©s. Mis Ă dĂ©couvert, hors de son terreau, il rampe sur lâĂ©chine, câest-Ă -dire quâil possĂšde la curieuse locomotion caractĂ©ristique de sa race. DĂšs les premiers trĂ©moussements sâaffirme lâart de marcher sur le dos, les pattes en lâair.
LâĂ©ducation en est des plus faciles. Une boĂźte en fer-blanc, qui met obstacle Ă lâĂ©vaporation et conserve les vivres frais, reçoit le nourrisson avec un choix de feuilles fermentĂ©es, cueillies dans lâamas de terreau. Cela suffit : lâĂ©lĂšve se maintient prospĂšre et se transforme lâan dâaprĂšs, pourvu que lâon ait soin de renouveler de temps Ă autre les provisions. Nulle Ă©ducation entomologique ne donne moins de tracas que celle de la CĂ©toine, Ă robuste appĂ©tit et constitution vigoureuse.
La croissance est rapide. Au commencement dâaoĂ»t, quatre semaines aprĂšs lâĂ©closion, le ver a la moitiĂ© de sa grosseur finale. LâidĂ©e me vient dâĂ©valuer sa consommation Ă lâaide de la grenaille stercorale qui sâest amassĂ©e dans la boĂźte depuis la premiĂšre bouchĂ©e. Je trouve 11 978 millimĂštres cubes, câest-Ă -dire quâen un mois le ver a digĂ©rĂ© un volume de matiĂšre Ă©gal Ă plusieurs milliers de fois son propre volume initial.
La larve de CĂ©toine est un moulin Ă trituration continue, faisant farine des choses vĂ©gĂ©tales mortes ; câest un broyeur de haut titre, qui, nuit et jour, presque lâannĂ©e durant, Ă©miette et met en poudre ce que la fermentation a dĂ©jĂ dĂ©labrĂ©. Dans le pourri, indĂ©finiment rĂ©sisteraient les fibres, les nervures des feuilles. Le ver prend possession de ces indomptables rĂ©sidus ; de ses bonnes cisailles, il les effiloche, les dĂ©coupe trĂšs menu ; il les dissout, les rĂ©duit en pĂąte dans son intestin et les rend, dĂ©sormais utilisables, aux trĂ©sors du sol.
En son état de ver, la Cétoine est un fabricant de terreau des plus actifs. Quand vient la métamorphose et que je passe mes éducations en revue une derniÚre fois, je suis scandalisé de ce que mes goinfres ont mouliné dans le courant de leur vie : cela se mesure à pleines écuelles.
Sous un autre rapport, la larve de CĂ©toine mĂ©rite attention. Câest un ver corpulent, dâun pouce de longueur, convexe sur le dos, aplati sur le ventre. La face dorsale est ridĂ©e de gros plis, oĂč font brosse des cils clairsemĂ©s ; la face ventrale est lisse, douĂ©e dâune peau fine sous laquelle transparaĂźt, en tache brune, lâample besace Ă ordure. Les pattes sont trĂšs bien conformĂ©es, mais petites, dĂ©biles, hors de proportion avec la masse du corps.
La bĂȘte est apte Ă se rouler sur elle-mĂȘme en arc fermĂ©. Câest la posture du repos, ou plutĂŽt la posture dâinquiĂ©tude et de dĂ©fense. Alors la volute anima...