Souvenirs entomologiques - Livre VIII
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Souvenirs entomologiques - Livre VIII

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Souvenirs entomologiques - Livre VIII

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À propos de ce livre

Souvenirs entomologiques - Livre VIII was written in the year 1902 by Jean-Henri Fabre. This book is one of the most popular novels of Jean-Henri Fabre, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635245895

Chapitre 1 LES CÉTOINES

Mon ermitage possĂšde une allĂ©e de lilas, profonde et large. Mai venu, lorsque les deux rangs d’arbustes, ployant sous la charge des grappes fleuries, se courbent en arcs d’ogive, cette allĂ©e devient une chapelle, oĂč se cĂ©lĂšbre, au soleil caressant de la matinĂ©e, la plus belle fĂȘte de l’an ; fĂȘte paisible, sans drapeaux claquant aux fenĂȘtres, sans poudre brĂ»lĂ©e, sans rixes aprĂšs boire ; fĂȘte des simples, que ne troublent ni les cuivres rauques du bal, ni les cris de la foule acclamant l’amateur qui vient de gagner aux trois sauts un foulard de quarante sous. Grosses joies Ă  pĂ©tards et libations, que vous ĂȘtes loin de cette solennitĂ© !
Je suis un des fidĂšles Ă  la chapelle des lilas. Mon oraison, non traduisible en vocables, est un Ă©moi intime qui doucement remue. DĂ©votement je fais mes stations d’un pilier de verdure Ă  l’autre, j’égrĂšne pas Ă  pas mon rosaire d’observateur. Ma priĂšre est un oh ! d’admiration.
À la dĂ©licieuse fĂȘte, des pĂšlerins sont accourus gagner les indulgences du printemps et boire une lampĂ©e. Il y a lĂ , trempant tour Ă  tour la langue dans le bĂ©nitier de la mĂȘme fleur, l’Anthophore et son tyran la MĂ©lecte. DĂ©trousseurs et dĂ©troussĂ©s sirotent en bons voisins. Pas de rancune entre eux. Chacun en paix fait ses affaires. Ils semblent ne pas se connaĂźtre.
Des Osmies, habillĂ©es de velours mi-parti noir et rouge, se poudrent de pollen la brosse ventrale et font amas de farine dans les roseaux du voisinage. Ceux-ci sont les Éristales, bruyants Ă©tourdis dont les ailes miroitent au soleil ainsi que des Ă©cailles de mica. Ivres de sirop, ils se retirent du festival et cuvent leur boisson Ă  l’ombre d’une feuille.
Ces autres sont les GuĂȘpes, les Polistes, bretteurs irritables. Sur le passage de ces intolĂ©rants, les pacifiques font retraite, vont s’installer ailleurs. L’Abeille mĂȘme, dominante en nombre, l’Abeille, qui si facilement dĂ©gaine, leur cĂšde le pas, tant elle est affairĂ©e de rĂ©colte.
Ces papillons trapus, richement bariolĂ©s, sont des SĂ©sies, qui nĂ©gligent de se couvrir en entier les ailes de poussiĂšre Ă©cailleuse. Leurs zones dĂ©nudĂ©es, simple gaze transparente, font contraste avec les zones vĂȘtues et sont une beautĂ© de plus. Le sobre donne relief au somptueux.
Ce fol essaim qui tourbillonne, s’en va, revient, descend, remonte, est le ballet de la plĂšbe lĂ©pidoptĂšre, de la PiĂ©ride du chou, toute blanche avec ocelle noir. On s’agace dans les airs, on se poursuit, on se lutine. LassĂ© des Ă©bats, tantĂŽt l’un, tantĂŽt l’autre des valseurs reprend pied sur les lilas et s’abreuve Ă  l’amphore des fleurs. Tandis que la trompe plonge et suce au fond de l’étroit goulot, les ailes, en une molle oscillation, se dressent sur le dos, s’étalent de nouveau, se redressent.
Presque aussi nombreux, mais d’envolĂ©e moins brusque Ă  cause de sa large envergure, est le Machaon, le magnifique porte-queue, Ă  cocardes orangĂ©es et lunules bleues.
Les enfants sont venus me rejoindre. Ils s’extasient devant la gracieuse crĂ©ature, qui chaque fois Ă©vite la main lancĂ©e et s’en va un peu plus loin sonder la sucrerie des fleurs, tout en mouvant les ailes Ă  la façon des PiĂ©rides. Si la Pompe fonctionne paisible au soleil, si le sirop monte bien, ce mol balancement alaire est pour eux tous marque de satisfaction.
Capture ! Anna, la plus jeune de toute la maisonnĂ©e, renonce aux Machaons, qui n’attendent jamais sa petite main leste. Elle a trouvĂ© mieux Ă  son goĂ»t. C’est la CĂ©toine. Non encore revenu de la fraĂźcheur matinale, le bel insecte, tout dorĂ©, sommeille sur les lilas, inconscient du danger, incapable de fuir. Il abonde. Cinq ou six sont vite cueillis. J’interviens pour qu’on laisse en paix les autres. Le butin est mis dans une boĂźte avec litiĂšre de fleurs. Plus tard, aux heures chaudes, la CĂ©toine, un long fil nouĂ© Ă  la patte, volera en rond, autour de la tĂȘte de l’enfant.
Cet Ăąge est sans pitiĂ© parce qu’il ne sait pas, et rien n’est cruel comme l’ignorance. Nul de mes Ă©tourdis ne prendra garde aux misĂšres de la bestiole, triste galĂ©rien qui traĂźne son boulet. Ils s’amuseront d’un supplice, les naĂŻfs. Je n’ose toujours y mettre ordre, me reconnaissant coupable Ă  mon tour, bien que mĂ»ri par l’expĂ©rience, quelque peu civilisĂ© et commençant Ă  savoir. Ils tourmentent pour s’amuser, je tourmente pour m’instruire : au fond, n’est-ce pas mĂȘme chose ? Y a-t-il une ligne de dĂ©marcation bien nette entre les expĂ©rimentations du savoir et les puĂ©rilitĂ©s du jeune Ăąge ? Je n’en vois pas.
Pour faire parler l’accusĂ©, la barbarie humaine employait autrefois le supplice de la question. Suis-je autre chose qu’un tortionnaire quand j’interroge mes bĂȘtes et les soumets Ă  la question pour leur arracher quelque secret ? Laissons Anna jouir Ă  sa guise de ses prisonniers, car je mĂ©dite quelque chose de pire. La CĂ©toine a des rĂ©vĂ©lations Ă  nous faire, intĂ©ressantes, je n’en doute pas. TĂąchons de les obtenir. Cela ne se fera pas, bien entendu, sans graves ennuis pour la bĂȘte. Ainsi soit, et passons : en faveur de l’histoire, faisons taire nos scrupules pacifiques.
Parmi les invitĂ©s aux fĂȘtes du lilas, la CĂ©toine mĂ©rite mention trĂšs honorable. Elle est de belle taille, propice Ă  l’observation. Si elle manque d’élĂ©gance dans sa configuration massive, carrĂ©ment coupĂ©e, elle a pour elle le somptueux : rutilance du cuivre, Ă©clair de l’or, sĂ©vĂšre Ă©clat du bronze tel que le donne le polissoir du fondeur. Elle est une habituĂ©e de l’enclos, une voisine, et de ce fait elle m’épargnera des courses qui commencent Ă  me peser. Enfin, condition excellente quand on dĂ©sire ĂȘtre compris de tous, elle est connue de chacun, sinon sous sa dĂ©nomination classique, du moins comme objet non Ă©tranger au regard.
Qui ne l’a vue, pareille Ă  une grosse Ă©meraude couchĂ©e au sein d’une rose, dont elle relĂšve le tendre incarnat par la richesse de sa joaillerie ? En ce lit voluptueux d’étamines et de pĂ©tales, elle s’incruste, immobile ; elle y passe la nuit, elle y passe le jour, enivrĂ©e de senteur capiteuse et grisĂ©e de nectar. Il faut l’aiguillon d’un Ăąpre soleil pour la tirer de sa bĂ©atitude et la faire envoler d’un essor bourdonnant.
À voir, sans autre information, la paresseuse en son lit de sybarite, on ne se douterait guĂšre de sa gloutonnerie. Pour se sustenter, que peut-elle trouver sur une rose, sur un corymbe d’aubĂ©pine ? Tout au plus une gouttelette d’exsudation sucrĂ©e, car elle ne broute pas les pĂ©tales, encore moins le feuillage. Et cela, ce rien, suffirait Ă  ce grand corps ! J’hĂ©site Ă  le croire.
La premiĂšre semaine du mois d’aoĂ»t, je mets en voliĂšre une quinzaine de CĂ©toines qui viennent de rompre leurs coques dans mes bocaux d’éducation. BronzĂ©es en dessus, violacĂ©es en dessous, elles appartiennent Ă  l’espĂšce Cetonia metallica Fab. Je leur sers, suivant les ressources du jour, des poires, des prunes, du melon, des raisins.
C’est bĂ©nĂ©diction que de les voir festoyer. Les attablĂ©es ne bougent plus. Rien, pas mĂȘme un dĂ©placement du bout des pattes. La tĂȘte dans la purĂ©e, souvent mĂȘme le corps noyĂ© en plein dans la marmelade, on lippe, on dĂ©glutit, de jour, de nuit, Ă  l’ombre, au soleil, sans discontinuer. SoulĂ©es de sucrerie, les goulues ne lĂąchent prise. AffalĂ©es sous la table, c’est-Ă -dire sous le fruit diffluent, elles pourlĂšchent toujours, en cette bĂ©ate somnolence de l’enfant qui s’endort avec la tartine de confiture aux lĂšvres.
Aucun Ă©bat dans l’orgie, mĂȘme lorsque le soleil donne bien ardent au sein de la voliĂšre. L’activitĂ© est suspendue, tout le temps appartient aux liesses du ventre. Par ces chaleurs torrides, on est si bien sous la prune reine-Claude, suçant le sirop ! En telles dĂ©lices, Ă  quoi bon l’essor dans les champs oĂč tout est brĂ»lĂ© ? Nulle n’y songe. Pas d’escalade contre le grillage de la voliĂšre, pas d’ailes brusquement Ă©talĂ©es en un essai d’évasion.
Cette vie de bombance dure dĂ©jĂ  depuis une quinzaine sans amener la satiĂ©tĂ©. Telle durĂ©e de banquet n’est pas frĂ©quente ; on ne la trouve pas mĂȘme chez les Bousiers, eux aussi fervents consommateurs. Lorsque le ScarabĂ©e sacrĂ©, filant sa cordelette ininterrompue de scories intestinales, s’est tenu une journĂ©e sur un morceau de choix, c’est tout ce que peut se permettre le goinfre. Or voici deux semaines que mes CĂ©toines sont attablĂ©es Ă  la confiserie de la prune et de la poire, et rien n’indique encore qu’elles en aient assez. À quand la fin de l’orgie, Ă  quand les noces et les soucis de l’avenir ?
Eh bien, de noces et de soins de famille, il n’y en aura pas dans la prĂ©sente annĂ©e. C’est diffĂ©rĂ© Ă  l’an prochain : retard singulier, en dĂ©saccord avec les usages habituels, trĂšs expĂ©ditifs en ces graves affaires. C’est la saison des fruits, et la CĂ©toine, passionnĂ© gourmet, veut jouir de ces bonnes choses sans ĂȘtre dĂ©tournĂ©e par les tracas de la ponte. Les jardins ont la poire fondante, la figue ridĂ©e dont l’Ɠil s’humecte de sirop. La friande en prend possession et s’y oublie.
Cependant la canicule se fait de plus en plus implacable. Chaque jour, comme disent nos paysans, une bourrĂ©e de plus s’ajoute au brasier du soleil. Comme le froid, la chaleur en excĂšs suspend la vie. Alors, pour tuer le temps, gelĂ©s et rĂŽtis sommeillent. Les CĂ©toines de ma voliĂšre se terrent dans le sable, Ă  une paire de pouces de profondeur. Les fruits les plus sucrĂ©s ne les tentent plus ; il fait trop chaud.
Il faut la tempĂ©rature modĂ©rĂ©e de septembre pour les tirer de leur torpeur. À cette Ă©poque, elles reparaissent Ă  la surface ; elles s’attablent Ă  mes Ă©corces de melon, elles s’abreuvent Ă  un grappillon de raisin, mais sobrement, en brĂšves sĂ©ances. Ont disparu, pour ne plus revenir, la fringale du dĂ©but et ses interminables ventrĂ©es.
Viennent les froids. De nouveau mes captives disparaissent sous terre. C’est lĂ  qu’elles passent l’hiver, protĂ©gĂ©es seulement par une couche de sable de quelques travers de doigt. Sous cette mince couverture, en leur abri de planches ouvert Ă  tous les vents, elles ne sont pas compromises par les fortes gelĂ©es. Je me les figurais frileuses ; je les trouve d’une remarquable rĂ©sistance aux rudesses de l’hiver. Elles ont gardĂ© le tempĂ©rament robuste des larves, qu’autrefois j’admirais durcies dans un bloc de neige congelĂ©e et revenant aprĂšs Ă  la vie par un dĂ©gel mĂ©nagĂ©.
Mars n’est pas fini que l’animation reparaĂźt. Mes enterrĂ©es surgissent, grimpent au treillis, vagabondent si le soleil est doux, redescendent dans le sable si l’air fraĂźchit. Que leur donner ? Il n’y a plus de fruits. Je leur sers du miel dans un godet de papier. Elles y viennent sans assiduitĂ© bien marquĂ©e. Trouvons mieux Ă  leur goĂ»t. Je leur offre des dattes. Le fruit exotique, exquise pulpe dans un sac de mince Ă©piderme, leur agrĂ©e trĂšs bien malgrĂ© sa nouveautĂ© : elles ne feraient pas plus de cas de la poire et de la figue. La datte nous conduit en fin avril, saison des premiĂšres cerises.
Nous voici revenus aux vivres rĂ©glementaires, les fruits du pays. Il en est fait consommation trĂšs modĂ©rĂ©e : l’heure est passĂ©e des prouesses gastriques. BientĂŽt mes pensionnaires deviennent indiffĂ©rentes Ă  la nourriture. Je surprends des pariades, signe d’une prochaine ponte. En prĂ©vision des Ă©vĂ©nements, j’ai disposĂ© dans la voliĂšre, Ă  fleur de terre, un pot plein de feuilles brunies, Ă  demi corrompues. C’est lĂ  que, vers le solstice, je les vois pĂ©nĂ©trer, tantĂŽt l’une, tantĂŽt l’autre, et quelque temps y sĂ©journer. Puis, les affaires terminĂ©es, elles remontent Ă  la surface. Une Ă  deux semaines encore, elles errent ; finalement elles se blottissent dans le sable Ă  peu de profondeur et pĂ©rissent.
Les successeurs sont dans le pot Ă  feuilles pourries. Avant que juin soit terminĂ©, je trouve en abondance, dans le tiĂšde amas, des Ɠufs rĂ©cents et de trĂšs jeunes larves. J’ai maintenant l’explication d’une singularitĂ© qui n’a pas manquĂ© de jeter quelques troubles dans mes premiĂšres Ă©tudes. En fouillant le grand tas de terreau qui, dans un coin ombragĂ© du jardin, me fournit chaque annĂ©e riche population de CĂ©toines, il m’arrivait, en juillet et aoĂ»t, de rencontrer sous ma houlette des coques intactes, qui devaient prochainement se rompre sous la poussĂ©e de l’insecte inclus ; je trouvais aussi la CĂ©toine adulte, sortie le jour mĂȘme de son coffret, et tout Ă  cĂŽtĂ© je cueillais aussi des larves trĂšs jeunes, en leurs dĂ©buts. J’avais sous les yeux l’insensĂ© paradoxe de fils nĂ©s avant les parents.
La voliĂšre a fait plein jour sur ces obscuritĂ©s. Elle m’a appris que la CĂ©toine, sous la forme adulte, vit une annĂ©e entiĂšre, d’un Ă©tĂ© au suivant. La coque se rompt pendant les ardeurs estivales, en juillet et aoĂ»t. Il serait de rĂšgle, la saison s’y prĂȘtant, de s’occuper aussitĂŽt de la famille, aprĂšs quelques Ă©bats nuptiaux. Ainsi se comportent gĂ©nĂ©ralement les autres insectes. Pour eux, la forme actuelle est une floraison de durĂ©e temporaire, que les exigences de l’avenir utilisent au plus vite.
La CĂ©toine n’a pas cette hĂąte. Grosse mangeuse elle Ă©tait en son Ăąge de ver pansu, grosse mangeuse elle reste sous les somptuositĂ©s de sa cuirasse d’adulte. Sa vie, tant que les chaleurs ne sont pas trop accablantes, elle la passe Ă  la confiserie des fruits, abricots et poires, pĂȘches, figues et prunes. AttardĂ©e dans ses lippĂ©es, elle oublie le reste et remet la ponte Ă  l’annĂ©e suivante.
AprĂšs la torpeur de l’hivernation dans un abri quelconque, elle reparaĂźt dĂšs les premiers jours du printemps. Mais alors les fruits manquent, et la goulue de l’étĂ© dernier, devenue sobre d’ailleurs, soit par nĂ©cessitĂ©, soit par tempĂ©rament, n’a d’autre ressource que l’avare buvette des fleurs. Juin venu, elle sĂšme ses Ɠufs dans un amas de terreau, Ă  cĂŽtĂ© des coques d’oĂč va sortir un peu plus tard l’insecte adulte. On a de la sorte, si l’on n’est au courant de la chose, la folle apparence de l’Ɠuf prĂ©cĂ©dant la pondeuse.
Parmi les CĂ©toines parues dans le courant de la mĂȘme annĂ©e, deux gĂ©nĂ©rations sont donc Ă  distinguer. Celles du printemps, hĂŽtes des roses, ont passĂ© l’hiver. Elles doivent pondre en juin et pĂ©rir aprĂšs. Celles de l’automne, passionnĂ©es de fruits, ont rĂ©cemment quittĂ© leurs habitacles de nymphes. Elles hiverneront et feront leur ponte vers le solstice de l’étĂ© suivant.
Nous sommes aux plus longs jours ; c’est le moment. À l’ombre des pins et contre le mur de clĂŽture est un amas, de quelques mĂštres cubes, formĂ© de tous les dĂ©tritus du jardin, surtout de feuilles mortes cueillies Ă  l’époque de leur chute. C’est la fabrique Ă  terreau pour les besoins de mes cultures en pots. Or, ce banc de pourriture que travaille, qu’attiĂ©dit une lente dĂ©composition, est un Éden pour les CĂ©toines en leur Ă©tat larvaire. Le ver bedonnant y fourmille, trouvant lĂ  provende copieuse en matiĂšres vĂ©gĂ©tales fermentĂ©es, et douce tempĂ©rature, mĂȘme au cƓur de l’hiver.
Quatre espĂšces l’habitent, excellemment prospĂšres, malgrĂ© les tracas que leur vaut ma curiositĂ©. La plus frĂ©quente est la CĂ©toine mĂ©tallique (Cetonia metallica Fab.). C’est elle qui me fournit la majeure part des documents. Les autres sont la vulgaire CĂ©toine dorĂ©e (Cetonia aurata Linn.), la CĂ©toine d’un noir mat (Cetonia morio Fab.), enfin la petite CĂ©toine drap-mortuaire (Cetonia stictica Linn.).
Vers les neuf et dix heures du matin, surveillons le tas. Soyons assidus et patients, car l’arrivĂ©e des pondeuses est sujette Ă  caprices et bien des fois fait attendre en vain. La chance nous favorise. Voici une CĂ©toine mĂ©tallique survenue des environs. En larges circuits, elle vole, revole au-dessus de l’amas ; elle inspecte de haut les lieux, elle choisit un point d’accĂšs facile. Frou ! elle s’abat, fouille du front et des pattes ; aussitĂŽt elle pĂ©nĂštre. De quel cĂŽtĂ© va-t-elle ?
D’abord l’ouĂŻe renseigne sur la direction suivie : on entend un froissement de feuilles sĂšches tant que l’insecte travaille dans les ariditĂ©s de la couche extĂ©rieure. Puis plus rien, silence : la CĂ©toine est arrivĂ©e dans la moite Ă©paisseur. LĂ , et seulement lĂ , doit se faire la ponte, afin que le vermisseau sortant de l’Ɠuf trouve, sans recherche, tendre nourriture sous la dent. Laissons la pondeuse Ă  ses affaires et revenons une paire d’heures aprĂšs.
Mais avant, portons notre rĂ©flexion sur ce qui vient de se passer. Un superbe insecte, bijou de l’orfĂšvrerie vivante, sommeillait tantĂŽt au sein d’une rose, sur le satin des pĂ©tales et dans la suavitĂ© des parfums. Et voici que ce luxueux Ă  dalmatique d’or, cet abreuvĂ© d’ambroisie, brusquement quitte sa fleur et s’enterre dans le pourri ; il abandonne le somptueux hamac embaumĂ© d’essence, pour descendre dans l’ordure nausĂ©euse. D’oĂč lui vient cette soudaine dĂ©pravation ?
Il sait que son ver fera rĂ©gal de ce qu’il abhorre lui-mĂȘme et, surmontant sa rĂ©pugnance, n’y songeant mĂȘme pas, il plonge. Est-il incitĂ© par le souvenir de son Ăąge de larve ? Que peut bien ĂȘtre chez lui le souvenir du manger aprĂšs un an d’intervalle, et surtout aprĂšs une refonte totale de l’organisation ? Pour attirer la CĂ©toine, la faire venir de la rose Ă  l’amas putride, il y a mieux que la mĂ©moire du ventre : il y a une impulsion aveugle, irrĂ©sistible, qui rĂ©alise le trĂšs logique sous les apparences de l’insensĂ©.
Revenons au tas de terreau. Le bruit des feuilles sĂšches froissĂ©e nous a renseignĂ©s approximativement ; nous savons en quel point la fouille doit porter, fouille minutieuse, hĂ©sitante, car il s’agit de suivre la pondeuse Ă  la piste. GuidĂ© par les matĂ©riaux qu’a refoulĂ©s le passage de l’insecte, on arrive tout de mĂȘme au but. Les Ɠufs sont trouvĂ©s, dissĂ©minĂ©s sans ordre, toujours isolĂ©s, sans nul prĂ©paratif. Il suffit qu’à proximitĂ© soient des matiĂšres vĂ©gĂ©tales tendres, fermentĂ©es Ă  point.
L’Ɠuf est un globule d’ivoire, peu Ă©loignĂ© de la forme sphĂ©rique et mesurant prĂšs de trois millimĂštres. L’éclosion a lieu une douzaine de jours aprĂšs. Le vermisseau est blanc, hĂ©rissĂ© de cils courts et clairsemĂ©s. Mis Ă  dĂ©couvert, hors de son terreau, il rampe sur l’échine, c’est-Ă -dire qu’il possĂšde la curieuse locomotion caractĂ©ristique de sa race. DĂšs les premiers trĂ©moussements s’affirme l’art de marcher sur le dos, les pattes en l’air.
L’éducation en est des plus faciles. Une boĂźte en fer-blanc, qui met obstacle Ă  l’évaporation et conserve les vivres frais, reçoit le nourrisson avec un choix de feuilles fermentĂ©es, cueillies dans l’amas de terreau. Cela suffit : l’élĂšve se maintient prospĂšre et se transforme l’an d’aprĂšs, pourvu que l’on ait soin de renouveler de temps Ă  autre les provisions. Nulle Ă©ducation entomologique ne donne moins de tracas que celle de la CĂ©toine, Ă  robuste appĂ©tit et constitution vigoureuse.
La croissance est rapide. Au commencement d’aoĂ»t, quatre semaines aprĂšs l’éclosion, le ver a la moitiĂ© de sa grosseur finale. L’idĂ©e me vient d’évaluer sa consommation Ă  l’aide de la grenaille stercorale qui s’est amassĂ©e dans la boĂźte depuis la premiĂšre bouchĂ©e. Je trouve 11 978 millimĂštres cubes, c’est-Ă -dire qu’en un mois le ver a digĂ©rĂ© un volume de matiĂšre Ă©gal Ă  plusieurs milliers de fois son propre volume initial.
La larve de CĂ©toine est un moulin Ă  trituration continue, faisant farine des choses vĂ©gĂ©tales mortes ; c’est un broyeur de haut titre, qui, nuit et jour, presque l’annĂ©e durant, Ă©miette et met en poudre ce que la fermentation a dĂ©jĂ  dĂ©labrĂ©. Dans le pourri, indĂ©finiment rĂ©sisteraient les fibres, les nervures des feuilles. Le ver prend possession de ces indomptables rĂ©sidus ; de ses bonnes cisailles, il les effiloche, les dĂ©coupe trĂšs menu ; il les dissout, les rĂ©duit en pĂąte dans son intestin et les rend, dĂ©sormais utilisables, aux trĂ©sors du sol.
En son état de ver, la Cétoine est un fabricant de terreau des plus actifs. Quand vient la métamorphose et que je passe mes éducations en revue une derniÚre fois, je suis scandalisé de ce que mes goinfres ont mouliné dans le courant de leur vie : cela se mesure à pleines écuelles.
Sous un autre rapport, la larve de CĂ©toine mĂ©rite attention. C’est un ver corpulent, d’un pouce de longueur, convexe sur le dos, aplati sur le ventre. La face dorsale est ridĂ©e de gros plis, oĂč font brosse des cils clairsemĂ©s ; la face ventrale est lisse, douĂ©e d’une peau fine sous laquelle transparaĂźt, en tache brune, l’ample besace Ă  ordure. Les pattes sont trĂšs bien conformĂ©es, mais petites, dĂ©biles, hors de proportion avec la masse du corps.
La bĂȘte est apte Ă  se rouler sur elle-mĂȘme en arc fermĂ©. C’est la posture du repos, ou plutĂŽt la posture d’inquiĂ©tude et de dĂ©fense. Alors la volute anima...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Chapitre 1 - LES CÉTOINES
  3. Chapitre 2 - LA BRUCHE DU POIS – (LA PONTE)
  4. Chapitre 3 - LA BRUCHE DU POIS – (LA LARVE)
  5. Chapitre 4 - LA BRUCHE DES HARICOTS
  6. Chapitre 5 - LES PENTATOMES
  7. Chapitre 6 - LE RÉDUVE À MASQUE
  8. Chapitre 7 - LES HALICTES – (UN PARASITE)
  9. Chapitre 8 - LES HALICTES – (LA CONCIERGE)
  10. Chapitre 9 - LES HALICTES – (LA PARTHÉNOGÉNÈSE)
  11. Chapitre 10 - LES PUCERONS DU TÉRÉBINTHE – (LES GALLES)
  12. Chapitre 11 - LES PUCERONS DU TÉRÉBINTHE – (LA MIGRATION)
  13. Chapitre 12 - LES PUCERONS DU TÉRÉBINTHE – (LA PARIADE. L’ƒUF)
  14. Chapitre 13 - LES MANGEURS DE PUCERONS
  15. Chapitre 14 - LES LUCILIES
  16. Chapitre 15 - LES SARCOPHAGES
  17. Chapitre 16 - LES SAPRINS. LES DERMESTES
  18. Chapitre 17 - LE TROX PERLÉ
  19. Chapitre 18 - LA GÉOMÉTRIE DE L’INSECTE
  20. Chapitre 19 - LA GUÊPE
  21. Chapitre 20 - LA GUÊPE – (SUITE)
  22. Chapitre 21 - LA VOLUCELLE
  23. Chapitre 22 - L’ÉPEIRE FASCIÉE
  24. Chapitre 23 - LA LYCOSE DE NARBONNE
  25. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  26. Notes de bas de page