Il est temps que je me repose ;
Je suis terrassé par le sort.
Ne me parlez pas dâautre chose
Que des tĂ©nĂšbres oĂč lâon dort !
Que veut-on que je recommence ?
Je ne demande désormais
à la création immense
Quâun peu de silence et de paix !
Pourquoi mâappelez-vous encore ?
Jâai fait ma tĂąche et mon devoir.
Qui travaillait avant lâaurore,
Peut sâen aller avant le soir.
Ă vingt ans, deuil et solitude !
Mes yeux, baissés vers le gazon,
Perdirent la douce habitude
De voir ma mĂšre Ă la maison.
Elle nous quitta pour la tombe ;
Et vous savez bien quâaujourdâhui
Je cherche, en cette nuit qui tombe,
Un autre ange qui sâest enfui !
Vous savez que je désespÚre,
Que ma force en vain se défend,
Et que je souffre comme pĂšre,
Moi qui souffris tant comme enfant !
Mon Ćuvre nâest pas terminĂ©e,
Dites-vous. Comme Adam banni,
Je regarde ma destinée,
Et je vois bien que jâai fini.
Lâhumble enfant que Dieu mâa ravie
Rien quâen mâaimant savait mâaider ;
CâĂ©tait le bonheur de ma vie
De voir ses yeux me regarder.
Si ce Dieu nâa pas voulu clore
LâĆuvre quâil me fit commencer,
Sâil veut que je travaille encore,
Il nâavait quâĂ me la laisser !
Il nâavait quâĂ me laisser vivre
Avec ma fille à mes cÎtés,
Dans cette extase oĂč je mâenivre
De mystérieuses clartés !
Ces clartĂ©s, jour dâune autre sphĂšre,
Ă Dieu jaloux, tu nous les vends !
Pourquoi mâas-tu pris la lumiĂšre
Que jâavais parmi les vivants ?
As-tu donc pensé, fatal maßtre,
QuâĂ force de te contempler,
Je ne voyais plus ce doux ĂȘtre,
Et quâil pouvait bien sâen aller !
Tâes-tu dit que lâhomme, vaine ombre,
Hélas ! perd son humanité
Ă trop voir cette splendeur sombre
Quâon appelle la vĂ©ritĂ© ?
Quâon peut le frapper sans quâil souffre,
Que son cĆur est mort dans lâennui,
Et quâĂ force de voir le gouffre,
Il nâa plus quâun abĂźme en lui ?
Quâil va, stoĂŻque, oĂč tu lâenvoies,
Et que désormais, endurci,
Nâayant plus ici-bas de joies,
Il nâa plus de douleurs aussi ?
As-tu pensĂ© quâune Ăąme tendre
Sâouvre Ă toi pour se mieux fermer,
Et que ceux qui veulent comprendre
Finissent par ne plus aimer ?
Ă Dieu ! vraiment, as-tu pu croire
Que je préférais, sous les cieux,
Lâeffrayant rayon de ta gloire
Aux douces lueurs de ses yeux !
Si jâavais su tes lois moroses,
Et quâau mĂȘme esprit enchantĂ©
Tu ne donnes point ces deux choses,
Le bonheur et la vérité,
PlutĂŽt que de lever tes voiles,
Et de chercher, cĆur triste et pur,
Ă te voir au fond des Ă©toiles,
Ă Dieu sombre dâun monde obscur,
Jâeusse aimĂ© mieux, loin de ta face,
Suivre, heureux, un Ă©troit chemin,
Et nâĂȘtre quâun homme qui passe
Tenant son enfant par la main !
Maintenant, je veux quâon me laisse !
Jâai fini ! le sort est vainqueur.
Que vient-on rallumer sans cesse
Dans lâombre qui mâemplit le cĆur ?
Vous qui me parlez, vous me dites
Quâil faut, rappelant ma raison,
Guider les foules décrépites
Vers les lueurs de lâhorizon ;
QuâĂ lâheure oĂč les peuples se lĂšvent,
Tout penseur suit un but profond ;
Quâil se doit Ă tous ceux qui rĂȘvent,
Quâil se doit Ă tous ceux qui vont !
Quâune Ăąme, quâun feu pur anime,
Doit hùter, avec sa clarté,
LâĂ©panouissement sublime
De la future humanité ;
Quâil faut prendre part, cĆurs fidĂšles,
Sans redouter les océans,
Aux fĂȘtes des choses nouvelles,
Aux combats des esprits géants !
Vous voyez des pleurs sur ma joue,
Et vous mâabordez mĂ©contents,
Co...