Lady Roxana
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Lady Roxana

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Lady Roxana

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À propos de ce livre

Née a Poitiers, de parents protestants, Roxane est venue en Angleterre en 1683 avec ses parents qui fuyaient devant la persécution. Tres belle, elle épouse a quinze ans un riche brasseur. Apres huit ans d'une vie assez brillante, son mari prend la fuite pour éviter la faillite. La jeune femme est réduite a la misere. Elle confie ses enfants a ses beaux-parents et devient la maßtresse de son propriétaire, sa servante, Amy, jouant le rÎle décisif de l'entremetteuse. Le couple est parfaitement assorti et va s'établir a Paris, ou Roxane devient rapidement célebre pour sa beauté. Son amant est assassiné et elle tombe dans les bras d'un prince de sang avec qui elle voyage en Italie...
Ce roman de forme autobiographique, dans la lignée de Mol Flanders, nous raconte la vie d'une femme a l'énergie indomptable, d'une extraordinaire vitalité, magnifique et passionnante aventuriere.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635254224

Chapitre 1

SOMMAIRE. – Je suis mariĂ©e Ă  un riche brasseur. – Mort de mon pĂšre et du pĂšre de mon mari. – MystĂ©rieuse disparition de mon mari. – Je vends mes effets pour vivre. – Attachement de ma servante, Amy. – Conseils de deux amies. – Mes enfants sont envoyĂ©s Ă  leur tante. – Conduite haineuse de la tante. – CaractĂšre aimable de l’oncle. – GĂ©nĂ©rositĂ© de mon propriĂ©taire. – Mon propriĂ©taire dĂźne avec moi. – Le mobilier de ma maison est restaurĂ©. – DĂ©claration d’amour. – Mon propriĂ©taire devient mon locataire. – Le piĂšge de la pauvretĂ©. – Je me rĂ©sous Ă  partager le lit de mon propriĂ©taire. – Nous nous prenons comme Ă©poux.
Je suis nĂ©e, comme je l’ai appris de mes amis, dans la ville de Poitiers, province ou comtĂ© de Poitou, en France, d’oĂč je fus amenĂ©e en Angleterre par mes parents, qui s’enfuirent Ă  cause de leur religion vers l’an 1683, Ă©poque oĂč les protestants furent bannis de France par la cruautĂ© de leurs persĂ©cuteurs.
Moi, qui ne savais que peu de chose, ou rien du tout, de ce qui m’avait fait amener ici, j’étais assez contente de m’y trouver. Londres, ville grande et gaie, me plut infiniment ; car, en ma qualitĂ© d’enfant, j’aimais la foule, et Ă  voir beaucoup de beau monde.
Je ne conservai rien de la France que le langage, mon pĂšre et ma mĂšre Ă©tant de meilleur ton que ne l’étaient ordinairement, en ce temps-lĂ , ceux qu’on appelle rĂ©fugiĂ©s. Ayant fui de bonne heure, lorsqu’il Ă©tait encore facile de rĂ©aliser leurs ressources, ils avaient, avant leur traversĂ©e, envoyĂ© ici des sommes importantes, ou, autant que je m’en souviens, des valeurs considĂ©rables en eau-de-vie de France, papier et autres marchandises. Tout cela se vendit dans des conditions trĂšs avantageuses, et mon pĂšre se trouva fort Ă  l’aise en arrivant, de sorte qu’il s’en fallait qu’il eĂ»t Ă  s’adresser aux autres personnes de notre nation qui Ă©taient ici, pour en obtenir protection ou secours. Au contraire, sa porte Ă©tait continuellement assiĂ©gĂ©e d’une foule de pauvres misĂ©rables crĂ©atures mourant de faim, qui, en ce temps-lĂ , s’étaient rĂ©fugiĂ©es ici, pour des raisons de conscience ou pour quelque autre cause.
J’ai mĂȘme entendu mon pĂšre dire qu’il Ă©tait harcelĂ© par bien des gens qui, pour la religion qu’ils avaient, auraient aussi bien pu rester oĂč ils Ă©taient auparavant. Mais ils accouraient ici par troupeaux, pour y trouver ce qu’on appelle en anglais a livelihood, c’est-Ă -dire leur subsistance, ayant appris que les rĂ©fugiĂ©s Ă©taient reçus Ă  bras ouverts en Angleterre, qu’ils trouvaient promptement de l’ouvrage, car la charitĂ© du peuple de Londres leur facilitait les moyens de travailler dans les manufactures de Spitalfields, de Canterbury et autres lieux, – qu’ils avaient pour leur travail un salaire bien plus Ă©levĂ© qu’en France, et autres choses semblables.
Mon pĂšre, disais-je, m’a racontĂ© qu’il Ă©tait plus harcelĂ© des cris de ces gens-lĂ  que de ceux qui Ă©taient de vrais rĂ©fugiĂ©s, ayant fui dans la misĂšre pour obĂ©ir Ă  leur conscience.
J’avais Ă  peu prĂšs dix ans lorsqu’on m’amena dans ce pays oĂč, comme je l’ai dit, mon pĂšre vĂ©cut fort Ă  l’aise, et oĂč il mourut environ onze ans plus tard. Pendant ce temps, je m’étais formĂ©e pour la vie mondaine, et liĂ©e avec quelques-unes de nos voisines anglaises, comme c’est la coutume Ă  Londres. Tout enfant, j’avais choisi trois ou quatre compagnes et camarades de jeux d’un Ăąge assorti au mien, de sorte qu’en grandissant nous nous habituĂąmes Ă  nous appeler amies et intimes ; et ceci contribua beaucoup Ă  me perfectionner pour la conversation et pour le monde.
J’allais Ă  des Ă©coles anglaises, et, comme j’étais jeune, j’appris la langue parfaitement bien, ainsi que toutes les maniĂšres des jeunes filles anglaises. Je ne conservai donc rien des Françaises que la connaissance du langage ; encore n’allai-je pas jusqu’à garder des restes de locutions françaises cousues dans mes discours, comme la plupart des Ă©trangers ; mais je parlais ce que nous appelons le pur anglais, aussi bien que si j’étais nĂ©e ici.
Puisque j’ai à donner la description de ma personne, il faut qu’on m’excuse de la donner aussi impartialement que possible, et comme si je parlais d’une autre. La suite vous fera juger si je me flatte ou non.
J’étais (je parle de moi lorsque j’avais environ quatorze ans) grande, et trĂšs bien faite ; d’une sagacitĂ© de faucon dans les questions qui ne dĂ©passent pas le niveau ordinaire des connaissances ; prompte et vive dans mes discours, portĂ©e Ă  la satire, toujours prĂȘte Ă  la repartie, et un peu trop libre dans la conversation, ou, comme nous disons en anglais, un peu trop hardie (bold), bien que d’une modestie parfaite dans ma conduite. Étant nĂ©e Française, je devais danser, comme quelques-uns le prĂ©tendent, naturellement ; en effet, j’aimais extrĂȘmement la danse ; je chantais bien Ă©galement, et si bien que, comme vous le verrez, cela me fut plus tard de quelque avantage. Avec tout cela, je ne manquais ni d’esprit, ni de beautĂ©, ni d’argent. C’est ainsi que j’entrai dans le monde, possĂ©dant tous les avantages qu’une jeune femme pouvait dĂ©sirer pour se faire bien venir des autres et se promettre une vie heureuse pour l’avenir.
Vers l’ñge de quinze ans, mon pĂšre me donna une dot de 25,000 livres, comme il disait en français, c’est-Ă -dire deux mille livres sterling, et me maria Ă  un gros brasseur de la citĂ©. Excusez-moi si je tais son nom, car bien qu’il soit la cause premiĂšre de ma ruine, je ne saurais me venger de lui si cruellement.
Avec cette chose qu’on appelle un mari, je vĂ©cus huit annĂ©es fort convenablement, et pendant une partie de ce temps j’eus une voiture, c’est-Ă -dire une sorte de caricature de voiture, car toute la semaine les chevaux travaillaient aux camions ; mais, le dimanche, j’avais le privilĂšge de sortir dans mon carrosse, pour aller soit Ă  l’église, soit ailleurs, suivant que mon mari et moi pouvions en tomber d’accord, ce qui, soit dit en passant, n’arrivait pas souvent. Mais nous reparlerons de cela.
Avant de m’engager davantage dans l’histoire de la partie matrimoniale de mon existence, il faut me permettre de faire le portrait de mon mari aussi impartialement que j’ai fait le mien. C’était un gaillard jovial et beau garçon autant qu’aucune femme peut en dĂ©sirer un pour le compagnon de sa vie ; grand et bien fait ; peut-ĂȘtre de dimensions un peu trop fortes, mais pas jusqu’à avoir l’air vulgaire. Il dansait bien, et c’est, je crois, ce qui nous rapprocha tout d’abord. Il avait un vieux pĂšre qui dirigeait les affaires avec soin, de sorte qu’il n’avait, de ce cĂŽtĂ©-lĂ , pas grand’chose Ă  faire, si ce n’est, de temps en temps, de faire une apparition et de se montrer. Et il en profitait ; car il s’inquiĂ©tait trĂšs peu de son commerce, mais il sortait, voyait du monde, chassait beaucoup et aimait excessivement ce dernier plaisir.
AprĂšs vous avoir dit que c’était un bel homme et un bon sportsman,j’ai vraiment tout dit. Je fus assez malheureuse, comme tant d’autres jeunes personnes de notre sexe, de le choisir parce qu’il Ă©tait bel homme et bon vivant, comme je l’ai dit ; car, pour le reste, c’était un ĂȘtre aussi faible, Ă  tĂȘte aussi vide, et aussi dĂ©nuĂ© d’instruction qu’une femme ait jamais pu en dĂ©sirer pour son compagnon. Et ici, il faut que je prenne la libertĂ©, quelques reproches que j’aie d’ailleurs Ă  me faire dans ma conduite ultĂ©rieure, de m’adresser Ă  mes sƓurs, les jeunes filles de ce pays, et de les prĂ©munir en quelques mots. Si vous avez quelque considĂ©ration pour votre bonheur futur, quelque dĂ©sir de vivre bien avec un mari, quelque espoir de conserver votre fortune ou de la rĂ©tablir aprĂšs un dĂ©sastre, jamais, mesdemoiselles, n’épousez un sot ; un mari quelconque, mais pas un sot ; avec certains autres maris vous pouvez ĂȘtre malheureuses, mais avec un sot vous serez misĂ©rables ; avec un autre mari vous pouvez, dis-je, ĂȘtre malheureuses, mais avec un sot vous le serez nĂ©cessairement. Il y a plus : le voudrait-il, il ne saurait vous rendre heureuse ; tout ce qu’il fait est si gauche, tout ce qu’il dit est si vide, qu’une femme de quelque intelligence ne peut s’empĂȘcher d’ĂȘtre fatiguĂ©e et dĂ©goĂ»tĂ©e de lui vingt fois par jour. Quoi de plus contrariant pour une femme que de mener dans le monde un grand gaillard de mari, bel homme et joli garçon, et d’ĂȘtre obligĂ©e de rougir de lui chaque fois qu’elle l’entend parler ? D’entendre les autres hommes causer sensĂ©ment, quand lui n’est capable de rien dire, et a l’air d’un sot ? Ou, ce qui est pire, de l’entendre dire des stupiditĂ©s et faire rire de lui comme d’un sot ?
D’un autre cĂŽtĂ©, il y a tant de sortes de sots, une si infinie variĂ©tĂ© de sots, et il est si difficile de savoir quel est le pire de l’espĂšce, que je suis obligĂ©e de vous dire : Pas de sot, mesdemoiselles, absolument, aucune espĂšce de sot, sot furieux ou sot modĂ©rĂ©, sot sage ou sot idiot ; prenez n’importe quoi, si ce n’est un sot ; bien plus, soyez n’importe quoi vous-mĂȘme, soyez mĂȘme vieille fille, la pire des malĂ©dictions de la nature, plutĂŽt que de ramasser un sot.
Mais laissons cela un moment, car j’aurai l’occasion d’en reparler. Mon cas Ă©tait particuliĂšrement pĂ©nible, et je trouvais, dans cette malheureuse union, toute une complication de sottises variĂ©es.
D’abord, – et la chose, il faut l’avouer, est parfaitement insupportable, – mon mari Ă©tait un sot vaniteux, tout opiniĂątre[1]. Tout ce qu’il disait Ă©tait juste, Ă©tait le mieux dit et dĂ©cidait la question, sans la moindre considĂ©ration pour aucune des personnes prĂ©sentes, ni pour rien de ce qui pouvait avoir Ă©tĂ© avancĂ© par d’autres, mĂȘme avec toute la modestie imaginable. Et nĂ©anmoins, quand il en venait Ă  dĂ©fendre son avis par l’argumentation et la raison, il le faisait d’une façon si faible, si vide, et si Ă©loignĂ©e de son but, que c’en Ă©tait assez pour dĂ©goĂ»ter ceux qui l’écoutaient et les faire rougir de lui.
En second lieu, il Ă©tait affirmatif et entĂȘtĂ©, et il l’était surtout dans les choses les plus simples ou les plus contradictoires et telles qu’il Ă©tait impossible d’avoir la patience de les entendre Ă©noncer.
Ces deux qualitĂ©s, mĂȘme s’il n’y en avait pas eu d’autres, suffisaient Ă  le rendre la plus insupportable crĂ©ature qu’on pĂ»t avoir pour Ă©poux ; et l’on imagine, Ă  premiĂšre vue, l’espĂšce de vie que je menais. Cependant, je m’en tirais aussi bien que je pouvais, et retenais ma langue ; ce qui Ă©tait la seule victoire que je remportasse sur lui. En effet, lorsqu’il voulait m’entretenir de son bavardage bruyant et vide, et que je ne voulais pas lui rĂ©pondre ou entrer en conversation avec lui sur le point qu’il avait choisi, il se levait dans une rage inimaginable, et s’en allait. C’était ainsi que je me dĂ©livrais Ă  meilleur marchĂ©.
Je pourrais m’étendre ici sur la mĂ©thode que j’adoptai pour me faire une vie passable et facile avec le caractĂšre le plus incorrigible du monde ; mais ce serait trop long, et les dĂ©tails trop frivoles. Je me bornerai Ă  en mentionner quelques-uns que les Ă©vĂ©nements que j’ai Ă  raconter rendent nĂ©cessaires Ă  mon rĂ©cit.
J’étais mariĂ©e depuis quatre ans environ, lorsque je perdis mon pĂšre. – Ma mĂšre Ă©tait morte auparavant. – Mon union lui plaisait si peu, et il voyait si peu de motifs d’ĂȘtre satisfait de la conduite de mon mari, que, tout en me laissant, Ă  sa mort, cinq mille livres et plus, il les laissa entre les mains de mon frĂšre aĂźnĂ©. Celui-ci, s’étant tĂ©mĂ©rairement aventurĂ© dans ses opĂ©rations commerciales, fit faillite, et perdit, non seulement ce qu’il avait Ă  lui, mais aussi ce qu’il avait Ă  moi, comme vous l’apprendrez tout Ă  l’heure.
Ainsi je perdis la derniĂšre marque de la libĂ©ralitĂ© de mon pĂšre, parce que j’avais un mari Ă  qui l’on ne pouvait se fier : voilĂ  un des avantages d’épouser un sot.
Dans la seconde annĂ©e qui suivit la mort de mon pĂšre, le pĂšre de mon mari mourut aussi. Je crus que sa fortune s’en trouvait considĂ©rablement augmentĂ©e, car tout le commerce de la brasserie, lequel Ă©tait excellent, lui appartenait dĂ©sormais en propre.
Mais cette augmentation de propriĂ©tĂ© fut sa ruine, car il n’avait pas le gĂ©nie des affaires. Il n’avait aucune connaissance des comptes de sa maison. Il eut bien l’air de se remuer Ă  ce sujet, dans les commencements, et il prit un visage d’homme affairĂ©. Mais il se relĂącha vite. C’était chose au-dessous de lui que d’examiner ses livres ; il laissait ce soin Ă  ses commis et Ă  ses comptables ; et tant qu’il trouvait de l’argent en caisse pour payer le malteur et les droits et pour en mettre un peu dans sa poche, il se sentait parfaitement Ă  l’aise et sans souci, laissant le plus important aller au hasard.
Je prĂ©voyais les consĂ©quences, et plusieurs fois j’essayai de le persuader de s’appliquer Ă  ses affaires. Je lui rappelai combien ses clients se plaignaient de la nĂ©gligence de ses employĂ©s d’un cĂŽtĂ©, et combien, de l’autre, augmentait le nombre de ses dĂ©biteurs, par suite de l’insouciance de son commis Ă  assurer les rentrĂ©es, et autres choses semblables. Mais il me repoussait soit avec de dures paroles, soit d’une façon dĂ©tournĂ©e, en me reprĂ©sentant les choses autrement qu’elles n’étaient.
Quoi qu’il en soit, pour couper court Ă  une ennuyeuse histoire qui n’a pas le droit d’ĂȘtre longue, il finit par trouver que son commerce dĂ©clinait, que son capital diminuait, bref, qu’il ne pouvait pas continuer les affaires. Une ou deux fois il dut mettre en gages ses ustensiles de brasseur pour satisfaire l’excise ; et, la derniĂšre fois, il eut toutes les peines du monde Ă  les dĂ©gager.
Il en fut alarmĂ©, et rĂ©solut de cesser le commerce. Il n’en Ă©tait pas fĂąchĂ©, d’ailleurs, prĂ©voyant que s’il ne le faisait pas Ă  temps, il serait forcĂ© de cesser d’une autre maniĂšre, je veux dire en faisant banqueroute. De mon cĂŽtĂ©, je ne demandais pas mieux qu’il s’en retirĂąt pendant qu’il lui restait encore quelque chose, de peur de me trouver dĂ©pouillĂ©e dans ma propre maison et mise Ă  la porte avec mes enfants ; car j’avais maintenant cinq enfants. C’est le seul ouvrage, peut-ĂȘtre, Ă  quoi les sots soient bons.
Je me considĂ©rais comme heureuse lorsqu’il eut trouvĂ© quelqu’un Ă  qui cĂ©der la brasserie.
En effet, aprĂšs avoir payĂ© une grosse somme, mon mari se trouva libĂ©rĂ©, toutes ses dettes acquittĂ©es, et ayant encore de deux Ă  trois mille livres sterling en poche. ObligĂ©s de dĂ©mĂ©nager de la brasserie, nous prĂźmes une maison Ă  X***, village situĂ© Ă  dix milles de la ville environ. Tout bien considĂ©rĂ©, je me crus heureuse, je le rĂ©pĂšte, d’ĂȘtre sortie d’embarras Ă  d’aussi bonnes conditions ; et si mon bel homme avait eu seulement son plein bonnet de bon sens, je n’aurais pas encore Ă©tĂ© trop mal.
Je lui proposai d’acheter quelque bien avec l’argent, ou avec une partie, lui offrant d’apporter ma part qui existait encore et qui pouvait se rĂ©aliser sĂ»rement. De cette façon nous aurions pu vivre tolĂ©rablement, au moins pendant sa vie. Mais comme c’est le propre d’un sot de ne pas prendre d’avis, il nĂ©gligea celui-lĂ , vĂ©cut comme auparavant, garda ses chevaux et ses gens, sortit tous les jours Ă  cheval pour chasser dans la forĂȘt ; et, pendant ce temps-lĂ , rien ne se faisait. Mais l’argent filait bon train, et il me semblait que je voyais la ruine accourir, sans aucun moyen praticable de l’arrĂȘter.
Je ne nĂ©gligeai rien de tout ce que la persuasion et les priĂšres peuvent tenter ; mais tout fut inutile. Lui reprĂ©senter comme notre argent s’en allait vite et ce que serait notre situation quand il n’y en aurait plus, cela ne faisait aucune impression sur lui. Comme un insensĂ©, il continuait sans nul souci de tout ce qu’on pourrait supposer que les larmes et les lamentations sont capables de faire. Il ne diminuait ni sa dĂ©pense personnelle, ni son train, ni ses chevaux, ni son domestique, jusqu’à la fin, oĂč il ne lui resta plus mĂȘme cent livres sterling au monde.
Il ne fallut pas plus de trois ans pour dĂ©penser ainsi tout l’argent comptant. Et il le dĂ©pensa, je puis le dire, sottement ; car les compagnies qu’il frĂ©quentait n’avaient rien d’estimable ; c’étaient gĂ©nĂ©ralement des chasseurs, des maquignons et des gens infĂ©rieurs Ă  lui : autre consĂ©quence de la sottise chez un homme. Les sots, en effet, ne sauraient trouver d’attrait Ă  la sociĂ©tĂ© d’hommes plus sages et plus capables qu’eux ; ce qui fait qu’ils entretiennent commerce avec des coquins, boivent de la biĂšre avec les portefaix, et font toujours leur compagnie de gens au dessous d’eux.
C’était lĂ  ma triste situation, lorsqu’un matin mon mari me dit qu’il comprenait qu’il en Ă©tait arrivĂ© Ă  un Ă©tat misĂ©rable, et qu’il voulait aller chercher fortune quelque part, ou ailleurs. Il avait dĂ©jĂ  dit des choses semblables plusieurs fois auparavant, lorsque je le pressais de considĂ©rer ses ressources et les ressources de sa famille avant qu’il fĂ»t trop tard ; mais, comme j’avais vu que dans tout cela il n’y avait aucune idĂ©e sĂ©rieuse, – et, Ă  la vĂ©ritĂ©, il n’y avait guĂšre jamais aucune idĂ©e dans ses paroles, quoi qu’il dĂźt, – je pensai encore cette fois-ci que ce n’était que des mots en l’air. Lorsqu’il avait bien rĂ©pĂ©tĂ© qu’il voulait s’en aller, je souhaitais d’ordinaire secrĂštement Ă  part moi, et mĂȘme je me le disais nettement en pensĂ©e : Que ne le faites-vous donc ! car si vous continuez ainsi, vous nous ferez tous mourir de faim.
Cependant il resta Ă  la maison toute la journĂ©e, et y passa la nuit. Le lendemain, de grand matin, il se lĂšve du lit, va Ă  une fenĂȘtre qui donnait sur les Ă©curies, et sonne de son cor français, comme il l’appelait. C’était son signal ordinaire pour appeler ses gens quand il sortait pour la chasse.
On Ă©tait vers la fin d’aoĂ»t ; il faisait donc encore clair dĂšs cinq heures, et ce fut Ă  peu prĂšs Ă  cette heure-lĂ  que je l’entendis, lui et deux de ses gens, sortir, et fermer les portes de la cour derriĂšre eux. Il ne m’avait rien dit de plus qu’il ne le faisait d’ordinaire lorsqu’il sortait pour son exercice favori. De mon cĂŽtĂ©, je ne me levai pas, et ne lui dis rien de particulier ; mais je repris mon sommeil aprĂšs son dĂ©part, et dormis pendant deux heures, ou environ.
Le lecteur sera sans doute un peu surpris d’apprendre brusquement que, depuis, je n’ai plus jamais revu mon Ă©poux. Il y a plus : non seulement je ne l’ai jamais revu, mais je n’ai jamais eu de ses nouvelles, ni directement, ni indirectement, non plus que d’aucun de ses deux domestiques, ni des chevaux ; je n’ai jamais su ce qu’ils devinrent, ou ni dans quelle direction ils Ă©taient allĂ©s, ce qu’ils firent ou avaient l’intention de faire, pas plus que si le sol s’était ouvert et les avait engloutis, et que personne n’en eĂ»t eu connaissance, si ce n’est comme je le dirai ci-aprĂšs.
Je ne fus aucunement surprise, ni le premier, ni le second soir ; non, et mĂȘme je ne le fus guĂšre pendant les deux premiĂšres semaines, pensant que s’il lui Ă©tait arrivĂ© quelque malheur, j’en entendrais toujours parler as...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Notice sur Daniel Defoe
  3. Préface
  4. Chapitre 1
  5. Chapitre 2
  6. Chapitre 3
  7. Chapitre 4
  8. Chapitre 5
  9. Chapitre 6
  10. Chapitre 7
  11. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  12. Notes de bas de page