Fantine
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À propos de ce livre

Oeuvre immense, joyau du patrimoine littéraire national, riche en figures assimilées par notre imaginaire ou notre langue, c'est roman touffu mais d'une lecture aisée, populaire mais déroutant, qu'il faut avoir lu.
Jean Valjean, un ancien forçat condamnĂ© en1796, trouve asile, aprĂšs avoir Ă©tĂ© libĂ©rĂ© du bagne et avoir longtemps errĂ©, chez Mgr Myriel, Ă©vĂȘque de Digne. Il se laisse tenter par les couverts d'argent du prĂ©lat et dĂ©guerpit Ă  l'aube. Des gendarmes le capturent, mais l'Ă©vĂȘque tĂ©moigne en sa faveur et le sauve. BouleversĂ©, Jean Valjean cĂšde Ă  une derniĂšre tentation en dĂ©troussant un petit Savoyard puis devient honnĂȘte homme. En1817 Ă  Paris, Fantine a Ă©tĂ© sĂ©duite par un Ă©tudiant puis abandonnĂ©e avec sa petite Cosette, qu'elle a confiĂ©e Ă  un couple de sordides aubergistes de Montfermeil, les ThĂ©nardier. Elle est contrainte de se prostituer...

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635246700

Partie 1
Un juste

Chapitre 1 Monsieur Myriel

[1]En 1815, M. Charles-François-Bienvenu Myriel Ă©tait Ă©vĂȘque de Digne. C’était un vieillard d’environ soixante-quinze ans ; il occupait le siĂšge de Digne depuis 1806.
Quoique ce dĂ©tail ne touche en aucune maniĂšre au fond mĂȘme de ce que nous avons Ă  raconter, il n’est peut-ĂȘtre pas inutile, ne fĂ»t-ce que pour ĂȘtre exact en tout, d’indiquer ici les bruits et les propos qui avaient couru sur son compte au moment oĂč il Ă©tait arrivĂ© dans le diocĂšse. Vrai ou faux, ce qu’on dit des hommes tient souvent autant de place dans leur vie et surtout dans leur destinĂ©e que ce qu’ils font. M. Myriel Ă©tait fils d’un conseiller au parlement d’Aix ; noblesse de robe. On contait de lui que son pĂšre, le rĂ©servant pour hĂ©riter de sa charge, l’avait mariĂ© de fort bonne heure, Ă  dix-huit ou vingt ans, suivant un usage assez rĂ©pandu dans les familles parlementaires. Charles Myriel, nonobstant ce mariage, avait, disait-on, beaucoup fait parler de lui. Il Ă©tait bien fait de sa personne, quoique d’assez petite taille, Ă©lĂ©gant, gracieux, spirituel ; toute la premiĂšre partie de sa vie avait Ă©tĂ© donnĂ©e au monde et aux galanteries. La rĂ©volution survint, les Ă©vĂ©nements se prĂ©cipitĂšrent, les familles parlementaires dĂ©cimĂ©es, chassĂ©es, traquĂ©es, se dispersĂšrent. M. Charles Myriel, dĂšs les premiers jours de la rĂ©volution, Ă©migra en Italie. Sa femme y mourut d’une maladie de poitrine dont elle Ă©tait atteinte depuis longtemps. Ils n’avaient point d’enfants. Que se passa-t-il ensuite dans la destinĂ©e de M. Myriel ? L’écroulement de l’ancienne sociĂ©tĂ© française, la chute de sa propre famille, les tragiques spectacles de 93, plus effrayants encore peut-ĂȘtre pour les Ă©migrĂ©s qui les voyaient de loin avec le grossissement de l’épouvante, firent-ils germer en lui des idĂ©es de renoncement et de solitude ? Fut-il, au milieu d’une de ces distractions et de ces affections qui occupaient sa vie, subitement atteint d’un de ces coups mystĂ©rieux et terribles qui viennent quelquefois renverser, en le frappant au cƓur, l’homme que les catastrophes publiques n’ébranleraient pas en le frappant dans son existence et dans sa fortune ? Nul n’aurait pu le dire ; tout ce qu’on savait, c’est que, lorsqu’il revint d’Italie, il Ă©tait prĂȘtre.
En 1804, M. Myriel était curé de B. (Brignolles). Il était déjà vieux, et vivait dans une retraite profonde.
Vers l’époque du couronnement, une petite affaire de sa cure, on ne sait plus trop quoi, l’amena Ă  Paris. Entre autres personnes puissantes, il alla solliciter pour ses paroissiens M. le cardinal Fesch. Un jour que l’empereur Ă©tait venu faire visite Ă  son oncle, le digne curĂ©, qui attendait dans l’antichambre, se trouva sur le passage de sa majestĂ©. NapolĂ©on, se voyant regardĂ© avec une certaine curiositĂ© par ce vieillard, se retourna, et dit brusquement :
– Quel est ce bonhomme qui me regarde ?
– Sire, dit M. Myriel, vous regardez un bonhomme, et moi je regarde un grand homme. Chacun de nous peut profiter.
L’empereur, le soir mĂȘme, demanda au cardinal le nom de ce curĂ©, et quelque temps aprĂšs M. Myriel fut tout surpris d’apprendre qu’il Ă©tait nommĂ© Ă©vĂȘque de Digne.
Qu’y avait-il de vrai, du reste, dans les rĂ©cits qu’on faisait sur la premiĂšre partie de la vie de M. Myriel ? Personne ne le savait. Peu de familles avaient connu la famille Myriel avant la rĂ©volution.
M. Myriel devait subir le sort de tout nouveau venu dans une petite ville oĂč il y a beaucoup de bouches qui parlent et fort peu de tĂȘtes qui pensent. Il devait le subir, quoiqu’il fĂ»t Ă©vĂȘque et parce qu’il Ă©tait Ă©vĂȘque. Mais, aprĂšs tout, les propos auxquels on mĂȘlait son nom n’étaient peut-ĂȘtre que des propos ; du bruit, des mots, des paroles ; moins que des paroles, des palabres, comme dit l’énergique langue du midi.
Quoi qu’il en fĂ»t, aprĂšs neuf ans d’épiscopat et de rĂ©sidence Ă  Digne, tous ces racontages, sujets de conversation qui occupent dans le premier moment les petites villes et les petites gens, Ă©taient tombĂ©s dans un oubli profond. Personne n’eĂ»t osĂ© en parler, personne n’eĂ»t mĂȘme osĂ© s’en souvenir.
M. Myriel Ă©tait arrivĂ© Ă  Digne accompagnĂ© d’une vieille fille, mademoiselle Baptistine, qui Ă©tait sa sƓur et qui avait dix ans de moins que lui.
Ils avaient pour tout domestique une servante du mĂȘme Ăąge que mademoiselle Baptistine, et appelĂ©e madame Magloire, laquelle, aprĂšs avoir Ă©tĂ© la servante de M. le CurĂ©, prenait maintenant le double titre de femme de chambre de mademoiselle et femme de charge de monseigneur.
Mademoiselle Baptistine Ă©tait une personne longue, pĂąle, mince, douce ; elle rĂ©alisait l’idĂ©al de ce qu’exprime le mot « respectable » ; car il semble qu’il soit nĂ©cessaire qu’une femme soit mĂšre pour ĂȘtre vĂ©nĂ©rable. Elle n’avait jamais Ă©tĂ© jolie ; toute sa vie, qui n’avait Ă©tĂ© qu’une suite de saintes Ɠuvres, avait fini par mettre sur elle une sorte de blancheur et de clartĂ© ; et, en vieillissant, elle avait gagnĂ© ce qu’on pourrait appeler la beautĂ© de la bontĂ©. Ce qui avait Ă©tĂ© de la maigreur dans sa jeunesse Ă©tait devenu, dans sa maturitĂ©, de la transparence ; et cette diaphanĂ©itĂ© laissait voir l’ange. C’était une Ăąme plus encore que ce n’était une vierge. Sa personne semblait faite d’ombre ; Ă  peine assez de corps pour qu’il y eĂ»t lĂ  un sexe ; un peu de matiĂšre contenant une lueur ; de grands yeux toujours baissĂ©s ; un prĂ©texte pour qu’une Ăąme reste sur la terre.
Madame Magloire Ă©tait une petite vieille, blanche, grasse, replĂšte, affairĂ©e, toujours haletante, Ă  cause de son activitĂ© d’abord, ensuite Ă  cause d’un asthme.
À son arrivĂ©e, on installa M. Myriel en son palais Ă©piscopal avec les honneurs voulus par les dĂ©crets impĂ©riaux qui classent l’évĂȘque immĂ©diatement aprĂšs le marĂ©chal de camp. Le maire et le prĂ©sident lui firent la premiĂšre visite, et lui de son cĂŽtĂ© fit la premiĂšre visite au gĂ©nĂ©ral et au prĂ©fet.
L’installation terminĂ©e, la ville attendit son Ă©vĂȘque Ă  l’Ɠuvre.

Chapitre 2 Monsieur Myriel devient monseigneur Bienvenu

Le palais Ă©piscopal de Digne Ă©tait attenant Ă  l’hĂŽpital.
Le palais Ă©piscopal Ă©tait un vaste et bel hĂŽtel bĂąti en pierre au commencement du siĂšcle dernier par monseigneur Henri Puget, docteur en thĂ©ologie de la facultĂ© de Paris, abbĂ© de Simore, lequel Ă©tait Ă©vĂȘque de Digne en 1712. Ce palais Ă©tait un vrai logis seigneurial. Tout y avait grand air, les appartements de l’évĂȘque, les salons, les chambres, la cour d’honneur, fort large, avec promenoirs Ă  arcades, selon l’ancienne mode florentine, les jardins plantĂ©s de magnifiques arbres. Dans la salle Ă  manger, longue et superbe galerie qui Ă©tait au rez-de-chaussĂ©e et s’ouvrait sur les jardins, monseigneur Henri Puget avait donnĂ© Ă  manger en cĂ©rĂ©monie le 29 juillet 1714 Ă  messeigneurs Charles BrĂ»lart de Genlis, archevĂȘque-prince d’Embrun, Antoine de Mesgrigny, capucin, Ă©vĂȘque de Grasse, Philippe de VendĂŽme, grand prieur de France, abbĂ© de Saint-HonorĂ© de LĂ©rins, François de Berton de Grillon, Ă©vĂȘque-baron de Vence, CĂ©sar de Sabran de Forcalquier, Ă©vĂȘque-seigneur de GlandĂšve, et Jean Soanen, prĂȘtre de l’oratoire, prĂ©dicateur ordinaire du roi, Ă©vĂȘque-seigneur de Senez. Les portraits de ces sept rĂ©vĂ©rends personnages dĂ©coraient cette salle, et cette date mĂ©morable, 29 juillet 1714, y Ă©tait gravĂ©e en lettres d’or sur une table de marbre blanc.
L’hĂŽpital Ă©tait une maison Ă©troite et basse Ă  un seul Ă©tage avec un petit jardin.
Trois jours aprĂšs son arrivĂ©e, l’évĂȘque visita l’hĂŽpital. La visite terminĂ©e, il fit prier le directeur de vouloir bien venir jusque chez lui.
– Monsieur le directeur de l’hîpital, lui dit-il, combien en ce moment avez-vous de malades ?
– Vingt-six, monseigneur.
– C’est ce que j’avais comptĂ©, dit l’évĂȘque.
– Les lits, reprit le directeur, sont bien serrĂ©s les uns contre les autres.
– C’est ce que j’avais remarquĂ©.
– Les salles ne sont que des chambres, et l’air s’y renouvelle difficilement.
– C’est ce qui me semble.
– Et puis, quand il y a un rayon de soleil, le jardin est bien petit pour les convalescents.
– C’est ce que je me disais.
– Dans les Ă©pidĂ©mies, nous avons eu cette annĂ©e le typhus, nous avons eu une suette militaire il y a deux ans, cent malades quelquefois ; nous ne savons que faire.
– C’est la pensĂ©e qui m’était venue.
– Que voulez-vous, monseigneur ? dit le directeur, il faut se rĂ©signer.
Cette conversation avait lieu dans la salle à manger-galerie du rez-de-chaussée.
L’évĂȘque garda un moment le silence, puis il se tourna brusquement vers le directeur de l’hĂŽpital :
– Monsieur, dit-il, combien pensez-vous qu’il tiendrait de lits rien que dans cette salle ?
– La salle Ă  manger de monseigneur ! s’écria le directeur stupĂ©fait.
L’évĂȘque parcourait la salle du regard et semblait y faire avec les yeux des mesures et des calculs.
– Il y tiendrait bien vingt lits ! dit-il, comme se parlant Ă  lui-mĂȘme.
Puis Ă©levant la voix :
– Tenez, monsieur le directeur de l’hĂŽpital, je vais vous dire. Il y a Ă©videmment une erreur. Vous ĂȘtes vingt-six personnes dans cinq ou six petites chambres. Nous sommes trois ici, et nous avons place pour soixante. Il y a erreur, je vous dis. Vous avez mon logis, et j’ai le vĂŽtre. Rendez-moi ma maison. C’est ici chez vous.
Le lendemain, les vingt-six pauvres Ă©taient installĂ©s dans le palais de l’évĂȘque et l’évĂȘque Ă©tait Ă  l’hĂŽpital.
M. Myriel n’avait point de bien, sa famille ayant Ă©tĂ© ruinĂ©e par la rĂ©volution. Sa sƓur touchait une rente viagĂšre de cinq cents francs qui, au presbytĂšre, suffisait Ă  sa dĂ©pense personnelle. M. Myriel recevait de l’état comme Ă©vĂȘque un traitement de quinze mille francs. Le jour mĂȘme oĂč il vint se loger dans la maison de l’hĂŽpital, M. Myriel dĂ©termina l’emploi de cette somme une fois pour toutes de la maniĂšre suivante. Nous transcrivons ici une note Ă©crite de sa main.
Note pour régler les dépenses de ma maison.
Pour le petit séminaire : quinze cents livres
Congrégation de la mission : cent livres
Pour les lazaristes de Montdidier : cent livres
SĂ©minaire des missions Ă©trangĂšres Ă  Paris : deux cents livres
Congrégation du Saint-Esprit : cent cinquante livres
Établissements religieux de la Terre-Sainte : cent livres
Sociétés de charité maternelle : trois cents livres
En sus, pour celle d’Arles : cinquante livres
ƒuvre pour l’amĂ©lioration des prisons : quatre cents livres
ƒuvre pour le soulagement et la dĂ©livrance des prisonniers : cinq cents livres
Pour libérer des pÚres de famille prisonniers pour dettes : mille livres
SupplĂ©ment au traitement des pauvres maĂźtres d’école du diocĂšse : deux mille livres
Grenier d’abondance des Hautes-Alpes : cent livres
CongrĂ©gation des dames de Digne, de Manosque et de Sisteron, pour l’enseignement gratuit des filles indigentes : quinze cents livres
Pour les pauvres : six mille livres
Ma dépense personnelle : mille livres
Total : quinze mille livres
Pendant tout le temps qu’il occupa le siĂšge de Digne, M. Myriel ne changea presque rien Ă  cet arrangement. Il appelait cela, comme on voit, avoir rĂ©glĂ© les dĂ©penses de sa maison.
Cet arrangement fut acceptĂ© avec une soumission absolue par mademoiselle Baptistine. Pour cette sainte fille, M. de Digne Ă©tait tout Ă  la fois son frĂšre et son Ă©vĂȘque, son ami selon la nature et son supĂ©rieur selon l’église. Elle l’aimait et elle le vĂ©nĂ©rait tout simplement. Quand il parlait, elle s’inclinait ; quand il agissait, elle adhĂ©rait. La servante seule, madame Magloire, murmura un peu. M. l’évĂȘque, on l’a pu remarquer, ne s’était rĂ©servĂ© que mille livres, ce qui, joint Ă  la pension de mademoiselle Baptistine, faisait quinze cents francs par an. Avec ces quinze cents francs[2], ces deux vieilles femmes et ce vieillard vivaient.
Et quand un curĂ© de village venait Ă  Digne, M. l’évĂȘque trouvait encore moyen de le traiter, grĂące Ă  la sĂ©vĂšre Ă©conomie de madame Magloire et Ă  l’intelligente administration de mademoiselle Baptistine.
Un jour, – il Ă©tait Ă  Digne depuis environ trois mois, – l’évĂȘque dit :
– Avec tout cela je suis bien gĂȘnĂ© !
– Je le crois bien ! s’écria madame Magloire, Monseigneur n’a seulement pas rĂ©clamĂ© la rente que le dĂ©partement lui doit pour ses frais de carrosse en ville et de tournĂ©es dans le diocĂšse. Pour les Ă©vĂȘques d’autrefois c’était l’usage.
– Tiens ! dit l’évĂȘque, vous avez raison, madame Magloire.
Il fit sa réclamation.
Quelque temps aprĂšs, le conseil gĂ©nĂ©ral, prenant cette demande en considĂ©ration, lui vota une somme annuelle de trois mille francs, sous cette rubrique : Allocation Ă  M. l’évĂȘque pour frais de carrosse, frais de poste et frais de tournĂ©es pastorales.
Cela fit beaucoup crier la bourgeoisie locale, et, Ă  cette occasion, un sĂ©nateur de l’empire, ancien membre du conseil des cinq-cents favorable au dix-huit brumaire et pourvu prĂšs de la ville de Digne d’une sĂ©natorerie magnifique, Ă©crivit au ministre des cultes, M. Bigot de PrĂ©ameneu, un petit billet irritĂ© et confidentiel dont nous extrayons ces lignes authentiques :
« – Des frais de carrosse ? pourquoi faire dans une ville de moins de quatre mille habitants ? Des frais de poste et de tournĂ©es ? Ă  quoi bon ces tournĂ©es d’abord ? ensuite comment courir la poste dans un pays de montagnes ? Il n’y a pas de routes. On ne va qu’à cheval. Le pont mĂȘme de la Durance Ă  ChĂąteau-Arnoux peut Ă  peine porter des charrettes Ă  bƓufs. Ces prĂȘtres sont tous ainsi. Avides et avares. Celui-ci a fait le bon apĂŽtre en arrivant. Maintenant il fait comme les autres. Il lui faut carrosse et chaise de poste. Il lui faut du luxe comme aux anciens Ă©vĂȘques. Oh ! toute cette prĂȘtraille ! Monsieur le comte, les choses n’iront bien que lorsque l’empereur nous aura dĂ©livrĂ©s des calotins. À bas le pape ! (les affaires se brouillaient avec Rome). Quant Ă  moi, je suis pour CĂ©sar tout seul. Etc., etc. »
La chose, en revanche, réjouit fort madame Magloire.
– Bon, dit-elle Ă  mademoiselle Baptistine, Monseigneur a commencĂ© par les autres, mais il a bien fallu qu’il finĂźt par lui-mĂȘme. Il a rĂ©glĂ© toutes ses charitĂ©s. VoilĂ  trois mille livres pour nous. Enfin !
Le soir mĂȘme, l’évĂȘque Ă©crivit et remit Ă  sa sƓur une note ainsi conçue :
Frais de carrosse et de tournées.
Pour donner du bouillon de viande aux malades de l’hîpital : quinze cents livres.
Pour la sociĂ©tĂ© de charitĂ© maternelle d’Aix : deux cent cinquante livres.
Pour la société de charité maternelle de Draguignan : deux cent cinquante livres.
Pour les enfants trouvés : cinq cents livres.
Pour les orphelins : cinq cents livres.
Total : trois mille livres.
Tel Ă©tait le budget de M. Myriel.
Quant au casuel Ă©piscopal, rachats de bans, dispenses, ondoiements, prĂ©dications, bĂ©nĂ©dictions d’églises ou de chapelles, mariages, etc., l’évĂȘque le percevait sur les riches avec d’autant plus d’ñpretĂ© qu’il le donnait aux pauvres.
Au bout de peu de temps, les offrandes d’ar...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Partie 1 - Un juste
  3. Partie 2 - La chute
  4. Partie 3 - En l’annĂ©e 1817
  5. Partie 4 - Confier, c’est quelquefois livrer
  6. Partie 5 - La descente
  7. Partie 6 - Javert
  8. Partie 7 - L’affaire Champmathieu
  9. Partie 8 - Contre-coup
  10. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  11. Notes de bas de page