La Faneuse d'amour
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La Faneuse d'amour

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La Faneuse d'amour

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Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Lorsque devenue comtesse d'Adembrode, Clara Mortsel, fille d'une famille ouvriere ayant prospérée récemment, s'éprend de la vie de campagne au domaine de son époux, elle s'éprend aussi et surtout du jeune Russel Waarloos, un fils de paysan. Elle va tout faire pour assouvir son amour, a l'encontre des lois sociales de son milieu...

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635255856

Chapitre 1

 
Lorsque, devenue comtesse d’Adembrode, Clara Mortsel s’éprit de la nature campinoise, parfois le dĂ©cor oubliĂ© de sa premiĂšre enfance, Ă©coulĂ©e dans une autre rĂ©gion rurale, revenait Ă  sa pensĂ©e.
La famille de Clara Ă©tait originaire du canton de Boom, de ces polders gras et argileux qu’alluvionnent le Rupel et l’Escaut. Sa mĂšre, orpheline Ă©levĂ©e par charitĂ©, sortit de l’ouvroir vers les dix-huit ans, avec quelques connaissances manuelles, outre la lecture, l’écriture et les quatre rĂšgles, et se mit, sur la recommandation des religieuses, au service d’une dame de qualitĂ© retirĂ©e Ă  la campagne prĂšs d’Hemixem, aprĂšs que, ravies de l’intelligence et de la gentillesse de la petite, les sƓurs eussent vainement essayĂ© de la coiffer du bĂ©guin. Une piquante brunette, la camĂ©riste de la douairiĂšre de Dhose ! On vantait surtout ses yeux qu’elle avait trĂšs noirs et rĂ©guliĂšrement fendus et sa chevelure indisciplinĂ©e. Elle savait ses avantages, aimait Ă  se les entendre Ă©numĂ©rer. Aucun ne les lui dĂ©taillait aussi complaisamment que Nikkel Mortsel, le briquetier, un courtaud membru, ĂągĂ© de vingt ans. Il avait la joue plutĂŽt cotonneuse que barbue, la parole facile et l’Ɠil polisson. Nikkel Mortsel, s’était bientĂŽt accointĂ© de cette Ă©ventĂ©e de Rikka, toujours Ă  la rue, du cĂŽtĂ© des briqueteries, le panier au bras par contenance. Ses tabliers et ses bonnets trĂšs blancs allĂ©chaient, dĂšs qu’elle se montrait, le manƓuvre le plus absorbĂ©. La coquette rĂ©sista aux cajoleries de Nikkel, crut le maintenir parmi ses soupirants ordinaires ; le luron ne l’entendait pas ainsi. Il commença par l’amuser, il finit par l’émouvoir. Ce falot mal nippĂ©, Ă  la dĂ©gaine de casseur, trouva pour la sĂ©duire d’irrĂ©sistibles suppliques de gestes et de regards. Un soir de kermesse qu’il l’avait Ă©nervĂ©e et pĂ©trie Ă  point aux spirales Ă©rotiques de la valse, il l’entraĂźna dans les fours Ă  briques, en partie Ă©teints et dĂ©serts les dimanches, et possĂ©da goulĂ»ment cette femme dĂ©jĂ  rendue et pĂąmĂ©e.
Cinq mois aprĂšs, Mme de Dhose, prude et rigoriste, pas mal prĂ©venue contre les airs Ă©vaporĂ©s et les toilettes claires de la pupille des bonnes sƓurs, constatait son embonpoint anormal et la chassait ignominieusement. La maladroite ne songea pas un instant Ă  retourner chez ses premiĂšres protectrices. Par bonheur Nikkel Mortsel restait absolument fĂ©ru de sa conquĂȘte. Le coureur de guilledou se doublait chez lui d’un esprit pratique, il devinait en Rikka des qualitĂ©s de mĂ©nagĂšre qui le dĂ©terminĂšrent Ă  l’épouser. La pauvresse ne s’estima que trop heureuse de s’unir chrĂ©tiennement Ă  ce gaillard dĂ©gourdi qu’elle avait cru leurrer sans jamais faire la culbute.
Elle le suivit Ă  Niel oĂč naquĂźt la petite Clara.

Chapitre 2

 
L’enfant poussa, sans raccroc, musclĂ©e et sanguine comme son pĂšre, avec la taille Ă©lancĂ©e, l’impressionnabilitĂ© nerveuse, les traits rĂ©guliers et les insondables yeux noirs de sa mĂšre. De bonne heure elle se montra timide et concentrĂ©e. Elle Ă©coutait beaucoup, mais le sens des mots la prĂ©occupait moins que la musique des voix.
Des parents plus dĂ©sƓuvrĂ©s que les siens eussent certainement remarquĂ© sa sensibilitĂ© extrĂȘme Ă  l’action de la couleur, du parfum et du son ; ils auraient mĂȘme Ă©tĂ© alarmĂ©s plus d’une fois par la bizarrerie de ses affinitĂ©s et de ses rĂ©pugnances sensorielles. Le claquement d’un fouet de charretier, la corne d’un garde-barriĂšre, la ritournelle mĂ©lopique des haleurs, le glougloutement des gouttiĂšres, le bruit de la pluie sur les feuilles, toutes les rumeurs de l’eau, les moisissures de l’automne les odeurs de brasseries, voire l’ñcre puanteur du ton, la plongeaient dans des extases et provoquaient ses dĂ©lectations ; en revanche, elle dĂ©daignait le parfum des roses, bĂąillait devant les murs fraĂźchement peints, tachait ou dĂ©chirait ses vĂȘtements neufs et pleurait Ă  chaudes larmes lorsqu’on jetait au rebut ses hardes usĂ©es. Toutes ses prĂ©dilections allĂšrent aux choses maussades, farouches, incomprises.
Ses plus grandes fĂ©licitĂ©s lui venaient de la riviĂšre. Boudant la villette aux rues basses et bien lavĂ©es, avec des façades luisantes, elle s’isolait des heures au bord du Rupel huileux se traĂźnant pĂ©niblement, enflĂ© et inerte dans son lit de limon. Elle courait sur la jetĂ©e Ă  la rencontre des bateliers et s’accrochait, avec des aviditĂ©s caressantes de jeune chienne en mal de dentition, Ă  leurs bottes ruisselantes. Le bleu marin de leurs tricots et de leurs grĂšgues devint une de ses couleurs prĂ©fĂ©rĂ©es, celle qu’elle choisit plus tard pour ses jerseys. Ce fut mĂȘme, avec l’indigo foncĂ© et luisant du sarrau des rustres, le seul bleu qu’elle affectionnĂąt.
Des chalands chargeaient au pied des bermes oĂč s’entassaient des blocs de briques et de tuiles. L’enfant amorcĂ©e assistait Ă  la manƓuvre, admirait ces ouvriers poudreux ou gĂącheux suivant le temps. Qu’elle se dĂ©sagrĂ©geĂąt en boue ou en poussiĂšre, la marchandise de ces tĂącherons les passait toujours Ă  la mĂȘme teinte rougeĂątre. Les talus et les chantiers en Ă©taient enduits. Rouges aussi les fours et les hangars au fil de l’eau en contrebas de la digue, rouges encore les cheminĂ©es cylindriques dĂ©passant les bĂątiments qui s’agglomĂšrent alentour. Des façons de vallĂ©es creusĂ©es par le travail des hommes pour l’extraction de l’argile s’élargissaient, pĂ©nĂ©trant toujours plus avant dans l’intĂ©rieur des terres et disputant la glĂšbe aux cultures. La vĂ©gĂ©tation Ă©tait relĂ©guĂ©e aux confins, constamment reculĂ©s, de cette zone industrielle. Briqueteries et tuileries brunĂątres par les temps gris, rutilaient sous le ciel bleu. Une chaleur dĂ©lĂ©tĂšre ; des vapeurs azotĂ©es, Ăąpres, lourdes et violĂątres, montaient des fournaises rĂ©pandant une fade odeur de terre cuite et renchĂ©rissaient sur la radiation d’un implacable soleil. Dans cette gĂ©henne, les hommes travaillaient nus jusqu’à la ceinture. Et l’on ne savait, par moments, ce qui fumait et grĂ©sillait le plus de leur encolure tannĂ©e ou de leurs pains de briques.
Clara bayait à ces labeurs ; terrifiée mais vaguement chatouillée dans ses transes. Impressions à la fois rudes et émollientes comme un massage de la pensée.
L’hiver, rĂ©gnaient l’humiditĂ© et la fiĂšvre. Des miasmes paludĂ©ens planaient au-dessus, des prairies lointaines, converties en baissiĂšres par les eaux extravasĂ©es du Rupel.
Le paysage gris s’alourdissait, s’embrumait davantage. Les flots glauques et flaves reflĂ©taient les nuages de sĂ©pia au ventre violacĂ©. Les brouillards s’accrochaient aux drĂšves dĂ©pouillĂ©es, dans les arriĂšre-plans. Et les bĂątiments industriels saignaient sur ce fond sombre, un sang brunĂątre, coagulĂ©, alors que sur l’azur estival ils paraissaient flamber. Ce glorieux rouge pourrissant jusqu’à ne plus reprĂ©senter que du brun, jetait comme des, rappels tragiques dans la trame de l’atmosphĂšre endeuillie.
Et Clara se sentait plus touchĂ©e, le cƓur plus gros, devant ces dĂ©gradations morbides que devant des couleurs franches.

Chapitre 3

 
Vers les 186
, Nikkel Mortsel apprit que la main-d’Ɠuvre manquait Ă  Anvers. On entreprenait la dĂ©molition des anciens remparts de la ville. Des fossĂ©s se comblaient, des quartiers neufs s’élevaient sur les forts de l’enceinte depuis longtemps dĂ©bordĂ©s par la citĂ© comme une jaque d’enfant que fait craquer le torse d’une fille nubile. Le gĂ©nie militaire prenait mesure Ă  la forte pucelle d’une nouvelle ceinture crĂ©nelĂ©e.
AllĂ©chĂ©s par un salaire plus sĂ©rieux, nombre de journaliers des campagnes s’embauchaient chez les entrepreneurs urbains. Le mĂ©nage des Mortsel Ă©migra des premiers sous les toits d’une bicoque du quartier Saint-AndrĂ©, dans la ruelle du Sureau. Maintenant, au lieu de cuire les briques, Nikkel dut se familiariser avec leur emploi. Apprentissage probablement onĂ©reux, car Nikkel n’avait plus douze ans. La chance intervint en faveur de l’aspirant plĂątrier. DĂ©barquĂ© d’un jour dans la grande ville, il rencontra un de ses pays, devenu compagnon maçon, qui se l’attacha d’emblĂ©e, comme manƓuvre. Cette protection et aussi l’ñge et la bonne volontĂ© du postulant, lui Ă©pargnĂšrent les vexatoires Ă©preuves de l’initiation. On l’accueillit mĂȘme en camarade dĂšs son apparition.
Au dĂ©but un seul l’asticotait et rĂŽdait autour de lui pour l’essayer, mais au premier attouchement Nikkel prit Ă  bras le corps l’expĂ©rimentateur, un Ă©chalas olivĂątre et noueux, le dĂ©molit d’un maĂźtre coup de rein et le vautra dans la boue, prouvant sans esbroufe Ă  toute la coterie qu’il en cuirait aux malveillants.
Intelligent, d’humeur amĂšne, madrĂ© au fond il conquit rapidement ses grades. AprĂšs un an, il n’aidait plus ses anciens, mais chargeait ses propres outils et s’essayait Ă  la construction. Il apprenait Ă  lever des murs entre deux lignes, plantait ses broches, prenait ses aplombs. L’Ɠil juste, il recourait Ă  peine au chas et il n’eut bientĂŽt pas son pareil pour hourder, plĂątrer, gobeter, et enfin pour tailler la pierre.
Le matin, il emportait du cafĂ© dans une gourde de fer blanc et deux grosses tartines roulĂ©es dans une gazette. À midi, si la distance du chantier au logis empĂȘchait son homme de rentrer, Rikka, accompagnĂ©e de la petite Clara, trimbalait jusqu’à la bĂątisse la gamelle de fricot enveloppĂ©e d’une serviette appĂ©tissante. Et toutes deux s’amusaient, assises sur une pierre ou sur une brouette, Ă  lui voir engouler la portion fumante, le plein air et le turbin aiguisant ses fringales.
Plus grande, Clara apporta seule le dßner au maçon.
L’enfant Ă©carquillait les yeux, prenait plaisir, aprĂšs le travail des terrassiers, Ă  voir sortir les fondations du sol, puis s’élever chaque jour au-dessus du rez-de-chaussĂ©e. Elle reconnaissait tous ces hommes bistres qui la saluaient rondement, la hĂ©laient dĂšs son approche et, aprĂšs la bĂąfrĂ©e, jonglaient avec la mioche comme avec une poupĂ©e. Clara souriait d’un petit air sĂ©rieux Ă  leurs tours ; juchĂ©e sur leur Ă©paule ou sur leur poing tendu, frileusement accrochĂ©e Ă  leur cou, criait : « Encore ! Encore ! » lorsqu’on la remettait Ă  terre, et son ravissement se marquait par une rougeur presque fĂ©brile Ă  ses pommettes.
Il lui arriva d’oublier l’heure et d’ĂȘtre oubliĂ©e par son pĂšre ; alors elle assistait Ă  la reprise du travail. Les tombereaux cahotants charriaient les matĂ©riaux ; le conducteur enlevait la planche de l’arriĂšre-train, dĂ©telait Ă  moitiĂ© le cheval, la charrette trĂ©buchait, la charge de briques chavirait et s’écroulait avec fracas, soulevant cette poussiĂšre rouilleuse des quais de Niel et de Boom.
Le charretier, aux tons de terre-cuite friandement modelĂ©e, rajustait la planche Ă  l’arriĂšre-train du tombereau, sautait Ă  la place des briques, dĂ©marrait et s’éloignait Ă  hue, Ă  dia, la longe Ă  la main, sifflant et claquant du fouet

Cependant reprenait l’argentine musique des truelles raclant la pierre et Ă©tendant le mortier, le grincement des ripes, le floc-floc des rabots dans le bassin de sable, le pschitt de l’eau noyant la chaux vive.
La requĂ©raient Ă  prĂ©sent l’installation des Ă©chafaudages, la manƓuvre des poulies, des moufles et des chĂšvres. Il s’agissait de guinder un de ces Ă©normes monolythes en pierre de taille, et ce n’était par trop d’une Ă©quipe de huit hommes pour desservir l’appareil.
Des compagnons, les uns espacĂ©s, fixaient les haubans Ă  des points voisins, puis les autres, ahanant, faisaient virer le treuil. Cordages et poulies grinçaient. Suspendus, un pied sur l’échelon, les rudes gars s’exhortaient et s’interpellaient, pesaient sur les leviers, dans des poses de gĂ©nies de la force ; leurs biceps aussi tendus que les cordes ; clamant, avant de donner Ă  la fois, le coup de collier, de traĂźnantes onomatopĂ©es : Otayo ! ha-li-hue ! Hi-ma-ho !
Et Ă  chaque effort de leurs musculatures rĂ©unies, la pierre ne s’élevait que de trĂšs peu. Oscillant avec lenteur au bout du cĂąble, contrariant de toute son inertie sournoise l’impulsion intelligente de ces turbineurs, elle tirait sur la poulie comme pour la briser et les rĂ©duire en bouillie. Mais la lourde pierre est calĂ©e, et Clara s’absorbe Ă  prĂ©sent dans la contemplation, des gĂącheurs et goujats en train de prĂ©parer le mortier : ils ont creusĂ© le bassin pour l’éteignage de la chaux, Ă©pierrĂ© le plĂątre en le passant Ă  travers le sas, et maintenant ils arrosent graduellement le mĂ©lange du contenu de leurs seaux d’eau. À chaque aspersion, une vapeur monte de l’aire et enveloppe de gaze les manƓuvres dĂ©jĂ  blancs comme des pierrots.
Lorsque se dissipe cette vapeur sifflante, Clara les voit corroyer la mixture en se balançant sur un pied, et ces mouvements cadencĂ©s d’apprentis imberbes, poupards et rĂąblus, la bercent, la fascinent, la grisent presque et suspendent les battements de son cƓur.
Il est temps que s’effectue la combinaison de la chaux et du sable. Les maĂźtres accroupis sur les massifs attendent leur augĂ©e, et, en grommelant, talonnent les gamins.
GĂącheurs de se hĂąter, mais il faut que les parcelles de chaux laiteuse et le sable de la Campine, jaune comme les fleurs des genĂȘts, se soient totalement amalgamĂ©s.
Alors le goujat gave son « oiseau » de ce mortier gras, monte Ă  l’échelle et va ravitailler son compagnon.
D’autres adolescents tassent des briques dans un panier ou les dressent sur une planchette horizontale fixĂ©e, Ă  hauteur de l’épaule, sur deux montants. Le faix Ă©tant complet, le jeune atlante se place entre les deux poteaux, s’arc-boute, se cambre, et l’assied sur l’épaule.
Vaguement angoissĂ©e, Clara accompagnait dans leur ascension ces petits hommes, courageux enfants, Ă  peine plus ĂągĂ©s qu’elle. Équilibristes irrĂ©prochables, presque coquets, ils traversaient des appontements dont leurs pieds dĂ©chaussĂ©s couvraient la largeur, narguant les vertiges ils passaient entre les gĂźtages du mĂȘme pas sĂ»r et mesurĂ©, escaladaient des rangĂ©es de poutres, sĂ©parĂ©es par de larges vides. Et tous, sous leur apparence de mastoc, sous leur apathie d’oursons mal dĂ©grossis, malgrĂ© leur dĂ©gaine un tantinet balourde, possĂ©daient une adresse et un sang-froid de matelots et de funambules.
La fillette s’inquiĂ©tait lorsqu’un trumeau lui masquait durant quelques secondes le hardi grimpeur ; mais ses nerfs se dĂ©tendaient lorsqu’il rĂ©apparaissait toujours d’aplomb, toujours sauf, aussi ferme qu’un somnambule, dans la baie d’une fenĂȘtre ou sur le faĂźte d’un pignon.

Chapitre 4

Le mĂ©tier battant, Nikkel passait maĂźtre-compagnon et gagnait de fortes semaines. La femme ramait dur de son cĂŽtĂ©, rĂ©alisait des Ă©conomies sans apparente lĂ©sine. Tout dans leur logement rĂ©vĂ©lait une propretĂ© de ferme hollandaise. Rikka entretenait ses nippes et celles de son enfant au point de les faire paraĂźtre neuves et bourgeoises. Leur nid formait oasis dans l’affreuse maisonnĂ©e au milieu des prolifiques tribus de logeurs rongĂ©s de vermine et de crasse. Dans le galetas de huit mĂštres sur quatre, avec ses deux lits de bois peint jouant l’acajou, sa huche, son poĂȘle, sa batterie sommaire, une table et deux chaises, il leur fallait cuisiner et dormir, repaĂźtre et s’astiquer. Tous les efforts de Rikka, tendaient Ă  expulser de leur logis cette odeur d’échauffĂ©, de graillon, de loques imprĂ©gnĂ©es de sueur, ces miasmes de buanderie, s’impatronisant par le trou de la serrure et les joints de la porte.
Clara se remĂ©mora toujours ce fumet du pauvre, mais plutĂŽt comme une chose mĂ©lancolique sollicitant la commisĂ©ration. Elle garda pour jamais dans les oreilles, avec plus de complaisance que de rancune, les disputes des voisins de carreau, les dĂ©gringolades au petit jour des chambrelans ensabotĂ©s, dans l’escalier noir, auquel servait de rampe une corde poisseuse comme le ligneul, et surtout les titubements des ivrognes les soirs de la Sainte-Touche et de la Saint-Lundi, ruineuses fĂ©ries ; les expectorations de jurons lardĂ©es de gravelures, le fracas des portes, les criailleries des femmes, le fausset des enfants, les carambolages des masses humaines contre les parois et la trĂ©pidation des planchers.
Le soir, couchĂ©e avant le retour du pĂšre, ces hourvaris empĂȘchaient la fillette de s’endormir. Silencieuse elle dissimulait son insomnie, et scrutait sa mĂšre qui ravaudait devant le pĂąle quinquet ou qui surveillait le miroton de Nikkel. La figure avenante et apaisĂ©e de Rikka, la dĂ©cence de sa toilette, la symĂ©trie du mobilier, au lieu de flatter Clara, l’irritaient presque par leur implacable rĂ©gularitĂ©, leur Ă©goĂŻste quiĂ©tude.
Rikka, la folle soubrette, se ressentait aujourd’hui de l’éducation du couvent. Depuis longtemps elle avait rajustĂ© son bonnet ; sa robe prĂ©sentait des cassures de soutane...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Chapitre 1
  3. Chapitre 2
  4. Chapitre 3
  5. Chapitre 4
  6. Chapitre 5
  7. Chapitre 6
  8. Chapitre 7
  9. Chapitre 8
  10. Chapitre 9
  11. Chapitre 10
  12. Chapitre 11
  13. Chapitre 12
  14. Chapitre 13
  15. Chapitre 14
  16. Chapitre 15
  17. Chapitre 16
  18. Chapitre 17
  19. Chapitre 18
  20. Chapitre 19
  21. Chapitre 20
  22. Chapitre 21
  23. Chapitre 22
  24. Chapitre 23
  25. Chapitre 24
  26. Chapitre 25
  27. Chapitre 26
  28. Chapitre 27
  29. Chapitre 28
  30. Chapitre 29
  31. Chapitre 30
  32. Chapitre 31
  33. Chapitre 32
  34. Chapitre 33
  35. Chapitre 34
  36. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique
  37. Notes de bas de page