Le Grand Meaulnes
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Le Grand Meaulnes

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Le Grand Meaulnes

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À propos de ce livre

A la fin du XIXe siecle, par un froid dimanche de novembre, un garçon de quinze ans, François Seurel, qui habite aupres de ses parents instituteurs une longue maison rouge - l'école du village -, attend la venue d'Augustin que sa mere a décidé de mettre ici en pension pour qu'il suive le cours supérieur: l'arrivée du grand Meaulnes a Sainte-Agathe va bouleverser l'enfance finissante de François...

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635260645

Partie 1

Chapitre 1 Le Pensionnaire

Il arriva chez nous un dimanche de novembre 189

Je continue Ă  dire « chez nous », bien que la maison ne nous appartienne plus. Nous avons quittĂ© le pays depuis bientĂŽt quinze ans et nous n’y reviendrons certainement jamais.
Nous habitions les bĂątiments du Cours SupĂ©rieur de Sainte-Agathe. Mon pĂšre, que j’appelais M. Seurel, comme les autres Ă©lĂšves, y dirigeait Ă  la fois le Cours SupĂ©rieur, oĂč l’on prĂ©parait le brevet d’instituteur, et le Cours Moyen. Ma mĂšre faisait la petite classe.
Une longue maison rouge, avec cinq portes vitrĂ©es, sous des vignes vierges, Ă  l’extrĂ©mitĂ© du bourg ; une cour immense avec prĂ©aux et buanderie, qui ouvrait en avant sur le village par un grand portail ; sur le cĂŽtĂ© nord, la route oĂč donnait une petite grille et qui menait vers La Gare, Ă  trois kilomĂštres ; au sud et par derriĂšre, des champs, des jardins et des prĂšs qui rejoignaient les faubourgs
 tel est le plan sommaire de cette demeure oĂč s’écoulĂšrent les jours les plus tourmentĂ©s et les plus chers de ma vie – demeure d’oĂč partirent et oĂč revinrent se briser, comme des vagues sur un rocher dĂ©sert, nos aventures.
Le hasard des « changements », une dĂ©cision d’inspecteur ou de prĂ©fet nous avaient conduits lĂ .
Vers la fin des vacances, il y a bien longtemps, une voiture de paysan, qui prĂ©cĂ©dait notre mĂ©nage, nous avait dĂ©posĂ©s, ma mĂšre et moi, devant la petite grille rouillĂ©e. Des gamins qui volaient des pĂȘches dans le jardin s’étaient enfuis silencieusement par les trous de la haie
 Ma mĂšre, que nous appelions Millie, et qui Ă©tait bien la mĂ©nagĂšre la plus mĂ©thodique que j’aie jamais connue, Ă©tait entrĂ©e aussitĂŽt dans les piĂšces remplies de paille poussiĂ©reuse, et tout de suite elle avait constatĂ© avec dĂ©sespoir, comme Ă  chaque « dĂ©placement », que nos meubles ne tiendraient jamais dans une maison si mal construite
 Elle Ă©tait sortie pour me confier sa dĂ©tresse. Tout en me parlant, elle avait essuyĂ© doucement avec son mouchoir ma figure d’enfant noircie par le voyage. Puis elle Ă©tait rentrĂ©e faire le compte de toutes les ouvertures qu’il allait falloir condamner pour rendre le logement habitable
 Quant Ă  moi, coiffĂ© d’un grand chapeau de paille Ă  rubans, j’étais restĂ© lĂ , sur le gravier de cette cour Ă©trangĂšre, Ă  attendre, Ă  fureter petitement autour du puits et sous le hangar.
C’est ainsi, du moins, que j’imagine aujourd’hui notre arrivĂ©e. Car aussitĂŽt que je veux retrouver le lointain souvenir de cette premiĂšre soirĂ©e d’attente dans notre cour de Sainte-Agathe, dĂ©jĂ  ce sont d’autres attentes que je me rappelle ; dĂ©jĂ , les deux mains appuyĂ©es aux barreaux du portail, je me vois Ă©piant avec anxiĂ©tĂ© quelqu’un qui va descendre la grand’rue. Et si j’essaie d’imaginer la premiĂšre nuit que je dus passer dans ma mansarde, au milieu des greniers du premier Ă©tage, dĂ©jĂ  ce sont d’autres nuits que je me rappelle ; je ne suis plus seul dans cette chambre ; une grande ombre inquiĂšte et amie passe le long des murs et se promĂšne. Tout ce paysage paisible – l’école, le champ du pĂšre Martin, avec ses trois noyers, le jardin dĂšs quatre heures envahi chaque jour par des femmes en visite – est Ă  jamais, dans ma mĂ©moire, agitĂ© transformĂ© par la prĂ©sence de celui qui bouleversa toute notre adolescence et dont la fuite mĂȘme ne nous a pas laissĂ© de repos.
Nous Ă©tions pourtant depuis dix ans dans ce pays lorsque Meaulnes arriva.
J’avais quinze ans. C’était un froid dimanche de novembre, le premier jour d’automne qui fit songer Ă  l’hiver. Toute la journĂ©e, Millie avait attendu une voiture de La Gare qui devait lui apporter un chapeau pour la mauvaise saison. Le matin, elle avait manquĂ© la messe ; et jusqu’au sermon, assis dans le chƓur avec les autres enfants, j’avais regardĂ© anxieusement du cĂŽtĂ© des cloches, pour la voir entrer avec son chapeau neuf. AprĂšs midi, je dus partir seul Ă  vĂȘpres.
« D’ailleurs, me dit-elle, pour me consoler, en brossant de sa main mon costume d’enfant, mĂȘme s’il Ă©tait arrivĂ©, ce chapeau, il aurait bien fallu, sans doute, que je passe mon dimanche Ă  le refaire. »
Souvent nos dimanches d’hiver se passaient ainsi.
DĂšs le matin, mon pĂšre s’en allait au loin, sur le bord de quelque Ă©tang couvert de brume, pĂȘcher le brochet dans une barque ; et ma mĂšre, retirĂ©e jusqu’à la nuit dans sa chambre obscure, rafistolait d’humbles toilettes. Elle s’enfermait ainsi de crainte qu’une dame de ses amies, aussi pauvre qu’elle mais aussi fiĂšre, vĂźnt la surprendre. Et moi, les vĂȘpres finies, j’attendais, en lisant dans la froide salle Ă  manger, qu’elle ouvrit la porte pour me montrer comment ça lui allait.
Ce dimanche-lĂ , quelque animation devant l’église me retint dehors aprĂšs vĂȘpres. Un baptĂȘme, sous le porche, avait attroupĂ© des gamins. Sur la place, plusieurs hommes du bourg avaient revĂȘtu leurs vareuses de pompiers ; et, les faisceaux formĂ©s, transis et battant la semelle, ils Ă©coutaient Boujardon, le brigadier, s’embrouiller dans la thĂ©orie

Le carillon du baptĂȘme s’arrĂȘta soudain comme une sonnerie de fĂȘte, qui se serait trompĂ©e de jour et d’endroit ; Boujardon et ses hommes, l’arme en bandouliĂšre, emmenĂšrent la pompe au petit trot ; et je les vis disparaĂźtre au premier tournant, suivis de quatre gamins silencieux, Ă©crasant de leurs grosses semelles les brindilles de la route givrĂ©e oĂč je n’osais pas les suivre.
Dans le bourg, il n’y eut plus alors de vivant que le cafĂ© Daniel, oĂč j’entendais sourdement monter puis s’apaiser les discussions des buveurs. Et, frĂŽlant le mur bas de la grande cour qui isolait notre maison du visage, j’arrivai, un peu anxieux de mon retard, Ă  la petite grille.
Elle Ă©tait entre ouverte et je vis aussitĂŽt qu’il se passait quelque chose d’insolite.
En effet, Ă  la porte de la salle Ă  manger – la plus rapprochĂ©e des cinq portes vitrĂ©es qui donnaient sur la cour – une femme aux cheveux gris, penchĂ©e, cherchait Ă  voir au travers des rideaux. Elle Ă©tait petite, coiffĂ©e d’une capote de velours noir Ă  l’ancienne mode. Elle avait un visage maigre et fin, mais ravagĂ© par l’inquiĂ©tude ; et je ne sais quelle apprĂ©hension, Ă  sa vue, m’arrĂȘta sur la premiĂšre marche, devant la grille.
« OĂč est-tu passĂ© ? mon Dieu ! disait-elle Ă  mi-voix. Il Ă©tait avec moi tout Ă  l’heure. Il a dĂ©jĂ  fait le tour de la maison. Il s’est peut-ĂȘtre sauvé  »
Et, entre chaque phrase, elle frappait au carreau trois petits coups Ă  peine perceptibles.
Personne ne venait ouvrir Ă  la visiteuse inconnue.
Millie, sans doute, avait reçu le chapeau de La Gare, et sans rien entendre, au fond de la chambre rouge, devant un lit semĂ© de vieux rubans et de plumes dĂ©frisĂ©es, elle cousait, dĂ©cousait, rebĂątissait sa mĂ©diocre coiffure
 En effet, lorsque j’eus pĂ©nĂ©trĂ© dans la salle Ă  manger, immĂ©diatement suivi de la visiteuse, ma mĂšre apparut tenant Ă  deux mains sur sa tĂȘte des fils de laiton, des rubans et des plumes, qui n’étaient pas encore parfaitement Ă©quilibrĂ©s

Elle me sourit, de ses yeux bleus fatiguĂ©s d’avoir travaillĂ© Ă  la chute du jour, et s’écria :
« Regarde ! Je t’attendais pour te montrer
 »
Mais, apercevant cette femme assise dans le grand fauteuil, au fond de la salle, elle s’arrĂȘta, dĂ©concertĂ©e. Bien vite, elle enleva sa coiffure, et, durant toute la scĂšne qui suivit, elle la tint contre sa poitrine, renversĂ©e comme un nid dans son bras droit repliĂ©.
La femme Ă  la capote, qui gardait, entre ses genoux, un parapluie et un sac de cuir, avait commencĂ© de s’expliquer, en balançant lĂ©gĂšrement la tĂȘte et en faisant claquer sa langue comme une femme en visite. Elle avait repris tout son aplomb.
Elle eut mĂȘme, dĂšs qu’elle parla de son fils, un air supĂ©rieur et mystĂ©rieux qui nous intrigua.
Ils Ă©taient venus tous les deux, en voiture, de La FertĂ©-d’Angillon, Ă  quatorze kilomĂštres de Sainte-Agathe. Veuve – et fort riche, Ă  ce qu’elle nous fit comprendre –, elle avait perdu le cadet de ses deux enfants, Antoine, qui Ă©tait mort un soir au retour de l’école, pour s’ĂȘtre baignĂ© avec son frĂšre dans un Ă©tang malsain. Elle avait dĂ©cidĂ© de mettre l’aĂźnĂ©, Augustin, en pension chez nous pour qu’il pĂ»t suivre le Cours SupĂ©rieur.
Et aussitĂŽt elle fit l’éloge de ce pensionnaire qu’elle nous amenait. Je ne reconnaissais plus la femme aux cheveux gris, que j’avais vue courbĂ©e devant la porte, une minute auparavant, avec cet air suppliant et hagard de poule qui aurait perdu l’oiseau sauvage de sa couvĂ©e.
Ce qu’elle contait de son fils avec admiration Ă©tait fort surprenant : il aimait Ă  lui faire plaisir, et parfois il suivait le bord de la riviĂšre, jambes filles, pendant des kilomĂštres, pour lui rapporter des Ɠufs de poules d’eau, de canards sauvages, perdus dans les ajoncs

Il tendait aussi des nasses
 L’autre nuit, il avait dĂ©couvert dans le bois une faisane prise au collet

Moi qui n’osais plus rentrer Ă  la maison quand j’avais un accroc Ă  ma blouse, je regardais Millie avec Ă©tonnement.
Mais ma mĂšre n’écoutait plus. Elle fit mĂȘme signe Ă  la dame de se taire, et dĂ©posant avec prĂ©caution son « nid » sur la table, elle se leva silencieusement comme pour aller surprendre quelqu’un

Au-dessus de nous, en effet, dans un rĂ©duit oĂč s’entassaient les piĂšces d’artifice noircies du dernier Quatorze Juillet, un pas inconnu, assurĂ©, allait et venait, Ă©branlant le plafond, traversait les immenses greniers tĂ©nĂ©breux du premier Ă©tage, et se perdait enfin vers les chambres d’adjoints abandonnĂ©es oĂč l’on mettait sĂ©cher le tilleul et mĂ»rir les pommes.
« DĂ©jĂ , tout Ă  l’heure, j’avais entendu ce bruit dans les chambres du bas, dit Millie Ă  mi-voix, et je croyais que c’était toi, François, qui Ă©tais rentré  »
Personne ne rĂ©pondit. Nous Ă©tions debout tous les trois, le cƓur battant, lorsque la porte des greniers qui donnait sur l’escalier de la cuisine s’ouvrit ; quelqu’un descendit les marches, traversa la cuisine, et se prĂ©senta dans l’entrĂ©e obscure de la salle Ă  manger.
« C’est toi, Augustin ? » dit la dame.
C’était un grand garçon de dix-sept ans environ. Je ne vis d’abord de lui, dans la nuit tombante, que son chapeau de feutre paysan coiffĂ© en arriĂšre et sa blouse noire sanglĂ©e d’une ceinture comme en portent les Ă©coliers. Je pus distinguer aussi qu’il souriait

Il m’aperçut, et, avant que personne eĂ»t pu lui demander aucune explication :
« Viens-tu dans la cour ? » dit-il.
J’hĂ©sitai une seconde. Puis, comme Millie ne me retenait pas, je pris ma casquette et j’allai vers lui.
Nous sortĂźmes par la porte de la cuisine et nous allĂąmes au prĂ©au, que l’obscuritĂ© envahissait dĂ©jĂ . À la lueur de la fin du jour, je regardais, en marchant, sa face anguleuse au nez droit, Ă  la lĂšvre duvetĂ©e.
« Tiens, dit-il, j’ai trouvĂ© ça dans ton grenier. Tu n’y avais donc jamais regardĂ©. »
Il tenait Ă  la main une petite roue en bois noirci ; un cordon de fusĂ©es dĂ©chiquetĂ©es courait tout autour ; ç’avait dĂ» ĂȘtre le soleil ou la lune au feu d’artifice du Quatorze Juillet.
« Il y en a deux qui ne sont pas parties : nous allons toujours les allumer », dit-il d’un ton tranquille et de l’air de quelqu’un qui espĂšre bien trouver mieux par la suite.
Il jeta son chapeau par terre et je vis qu’il avait les cheveux complĂštement ras comme un paysan. Il me montra les deux fusĂ©es avec leurs bouts de mĂšche en papier que la flamme avait coupĂ©s, noircis, puis abandonnĂ©s. Il planta dans le sable le moyeu de la roue, tira de sa poche – Ă  mon grand Ă©tonnement, car cela nous Ă©tait formellement interdit – une boĂźte d’allumettes. Se baissant avec prĂ©caution, il mit le feu Ă  la mĂšche. Puis, me prenant par la main, il m’entraĂźna vivement en arriĂšre.
Un instant aprĂšs, ma mĂšre qui sortait sur le pas de la porte, avec la mĂšre de Meaulnes, aprĂšs avoir dĂ©battu et fixĂ© le prix de pension, vit jaillir sous le prĂ©au, avec un bruit de soufflet, deux gerbes d’étoffes rouges et blanches ; et elle put m’apercevoir, l’espace d’une seconde, dressĂ© dans la lueur magique, tenant par la main le grand gars nouveau venu et ne bronchant pas

Cette fois encore elle n’osa rien dire.
Et le soir, au dĂźner, il y eut, Ă  la table de famille, un compagnon silencieux, qui mangeait, la tĂȘte basse, sans se soucier de nos trois regards fixĂ©s sur lui.

Chapitre 2 AprĂšs quatre heures

Je n’avais guĂšre Ă©tĂ©, jusqu’alors, courir dans les rues avec les gamins du bourg. Une coxalgie, dont j’ai souffert jusque vers cette annĂ©e 189
, m’avait rendu craintif et malheureux. Je me vois encore poursuivant les Ă©coliers alertes dans les ruelles qui entouraient la maison, en sautillant misĂ©rablement sur une jambe

Aussi ne me laissait-on guĂšre sortir. Et je me rappelle que Millie, qui Ă©tait trĂšs fiĂšre de moi, me ramena plus d’une fois Ă  la maison, avec force taloches, pour m’avoir ainsi rencontrĂ©, sautant Ă  cloche-pied, avec les garnements du village.
L’arrivĂ©e d’Augustin Meaulnes, qui coĂŻncida avec ma guĂ©rison, fut le commencement d’une vie nouvelle.
Avant sa venue, lorsque le cours Ă©tait fini, Ă  quatre heures, une longue soirĂ©e de solitude commençait pour moi. Mon pĂšre transportait le feu du poĂȘle de la classe dans la cheminĂ©e de notre salle Ă  manger ; et peu Ă  peu les derniers gamins attardĂ©s abandonnaient l’école refroidie oĂč roulaient des tourbillons de fumĂ©e. Il y avait encore quelques jeux, des galopades dans la cour ; puis la nuit venait ; les deux Ă©lĂšves qui avaient balayĂ© la classe cherchaient sous le hangar leurs capuchons et leurs pĂšlerines, et ils partaient bien vite, leur panier au bras, en laissant le grand portail ouvert

Alors, tant qu’il y avait une lueur de jour, je restais au fond de la Mairie, enfermĂ© dans le Cabinet des Archives plein de mouches mortes, d’affiches battant au vent, et je lisais assis sur une vieille bascule, auprĂšs d’une fenĂȘtre qui donnait sur le jardin.
Lorsqu’il faisait noir, que les chiens de la ferme voisine commençaient Ă  hurler et que le carreau de notre petite cuisine s’illuminait, je rentrais enfin. Ma mĂšre avait commencĂ© de prĂ©parer le repas. Je montais trois marches de l’escalier du grenier ; je m’asseyais sans rien dire et, la tĂȘte appuyĂ©e aux barreaux froids de la rampe, je la regardais allumer son feu dans l’étroite cuisine oĂč vacillait la flamme d’une bougie.
Mais quelqu’un est venu qui m’a enlevĂ© Ă  tous ces plaisirs d’enfant paisible. Quelqu’un a soufflĂ© la bougie qui Ă©clairait pour moi le doux visage maternel penchĂ© sur le repas du soir. Quelqu’un a Ă©teint la lampe autour de laquelle nous Ă©tions une famille heureuse, Ă  la nuit, lorsque mon pĂšre avait accrochĂ© les volets de bois aux portes vitrĂ©es. Et celui-lĂ , ce fut Augustin Meaulnes, que les autres Ă©lĂšves appelĂšrent bientĂŽt le grand Meaulnes. DĂšs qu’il fut pensionnaire chez nous, c’est-Ă -dire dĂšs les premiers jours de dĂ©cembre, l’école cessa d’ĂȘtre dĂ©sertĂ©e le soir, aprĂšs quatre heures. MalgrĂ© le froid de la porte battante, les cris des balayeurs et leurs seaux d’eau, il y avait toujours, aprĂšs le cours, dans la classe, une vingtaine de grands Ă©lĂšves, tant de la campagne que du bourg, serrĂ©s autour de Meaulnes. Et c’étaient de longues discussions, d...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Préface
  3. Partie 1
  4. Partie 2
  5. Partie 3