Colette Baudoche- Histoire d'une jeune fille de Metz
eBook - ePub

Colette Baudoche- Histoire d'une jeune fille de Metz

  1. French
  2. ePUB (adapté aux mobiles)
  3. Disponible sur iOS et Android
eBook - ePub

Colette Baudoche- Histoire d'une jeune fille de Metz

DĂ©tails du livre
Aperçu du livre
Table des matiĂšres
Citations

À propos de ce livre

Colette Baudoche- Histoire d'une jeune fille de Metz was written in the year 1909 by Maurice Barres. This book is one of the most popular novels of Maurice Barres, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

Foire aux questions

Il vous suffit de vous rendre dans la section compte dans paramĂštres et de cliquer sur « RĂ©silier l’abonnement ». C’est aussi simple que cela ! Une fois que vous aurez rĂ©siliĂ© votre abonnement, il restera actif pour le reste de la pĂ©riode pour laquelle vous avez payĂ©. DĂ©couvrez-en plus ici.
Pour le moment, tous nos livres en format ePub adaptĂ©s aux mobiles peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©s via l’application. La plupart de nos PDF sont Ă©galement disponibles en tĂ©lĂ©chargement et les autres seront tĂ©lĂ©chargeables trĂšs prochainement. DĂ©couvrez-en plus ici.
Les deux abonnements vous donnent un accĂšs complet Ă  la bibliothĂšque et Ă  toutes les fonctionnalitĂ©s de Perlego. Les seules diffĂ©rences sont les tarifs ainsi que la pĂ©riode d’abonnement : avec l’abonnement annuel, vous Ă©conomiserez environ 30 % par rapport Ă  12 mois d’abonnement mensuel.
Nous sommes un service d’abonnement Ă  des ouvrages universitaires en ligne, oĂč vous pouvez accĂ©der Ă  toute une bibliothĂšque pour un prix infĂ©rieur Ă  celui d’un seul livre par mois. Avec plus d’un million de livres sur plus de 1 000 sujets, nous avons ce qu’il vous faut ! DĂ©couvrez-en plus ici.
Recherchez le symbole Écouter sur votre prochain livre pour voir si vous pouvez l’écouter. L’outil Écouter lit le texte Ă  haute voix pour vous, en surlignant le passage qui est en cours de lecture. Vous pouvez le mettre sur pause, l’accĂ©lĂ©rer ou le ralentir. DĂ©couvrez-en plus ici.
Oui, vous pouvez accĂ©der Ă  Colette Baudoche- Histoire d'une jeune fille de Metz par Maurice Barres en format PDF et/ou ePUB ainsi qu’à d’autres livres populaires dans Literature et Literature General. Nous disposons de plus d’un million d’ouvrages Ă  dĂ©couvrir dans notre catalogue.

Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635259069
Il n’y a pas de ville qui se fasse mieux aimer que Metz. Un Messin français Ă  qui l’on rappelle sa cathĂ©drale, l’Esplanade, les rues Ă©troites aux noms familiers, la Moselle au pied des remparts et les villages dissĂ©minĂ©s sur les collines, s’attendrit. Et pourtant ces gens de Metz sont de vieux civilisĂ©s, modĂ©rĂ©s, nuancĂ©s, jaloux de cacher leur puissance d’enthousiasme. Un passant ne s’explique pas cette Ă©motion en faveur d’une ville de guerre, oĂč il n’a vu qu’une belle cathĂ©drale et des vestiges du dix-huitiĂšme siĂšcle, auprĂšs d’une riviĂšre agrĂ©able. Mais il faut comprendre que Metz ne vise pas Ă  plaire aux sens ; elle sĂ©duit d’une maniĂšre plus profonde : c’est une ville pour l’ñme, pour la vieille Ăąme française, militaire et rurale.
Les statues de Fabert et de Ney, que sont venues rejoindre celles de Guillaume le Ier et, de FrĂ©dĂ©ric-Charles, Ă©taient entourĂ©es du prestige qu’on accorde aux pierres tutĂ©laires. On se montrait les hĂ©ros des grandes guerres sur les places oĂč les officiers allemands exercent aujourd’hui leurs recrues. Les Ă©difices civils gardent encore la marque des ingĂ©nieurs de notre armĂ©e ; c’est partout droiture et simplicitĂ©, nettetĂ© des frontons sculptĂ©s, aspect rectiligne de l’ensemble. D’un bord Ăą l’autre de la place Royale, le palais de justice s’accorde fraternellement avec la caserne du gĂ©nie ; les maisons bourgeoises, elles-mĂȘmes, se rangent Ăą l’alignement, et, sous les arcades de la place Saint-Louis, on croit sentir une discipline. Cet esprit s’étend sur la douce vallĂ©e mosellane. Depuis l’Esplanade, on devine sous un ciel nuageux douze villages vignerons, baignĂ©s ou mirĂ©s dans la Moselle, et qui nous caressent, comme elle, par la douceur mouillĂ©e de leurs noms : Sey, qui donne le premier de nos vins ; RozĂ©rieulles, oĂč chaque maison possĂšde sa vigne ; Woippy, le pays des fraises ; Lorry, que ses mirabelles enrichissent ; tous chargĂ©s d’arbres Ă  fruits qui semblent les abriter et les aimer. Mais les collines oĂč ils s’étagent ont leurs tĂȘtes aplanies : c’est qu’elles sont devenues les forts de Plappeville, de Saint-Quentin, de Saint-Blaise et de Sommy.
Les Messins d’avant la guerre, tous soldats ou parents de soldats, vivaient en rapports journaliers avec la rĂ©gion agricole. Les rentiers y avaient leurs fermes, les marchands leurs acheteurs, et la plus modeste famille rĂȘvait d’une maison de campagne oĂč, chaque automne, on irait surveiller la vendange. Tout cela composait une atmosphĂšre trĂšs propre Ăą la conservation du vieux type français. Qui n’a pas connu, mĂ©ditĂ© cette ville, ignore peut-ĂȘtre la valeur d’une civilisation formĂ©e dans les mƓurs de l’agriculture et de la guerre. Les Lorrains Ă©migrĂ©s ne regrettent pas simplement des paysages, des habitudes, une sociĂ©tĂ© dispersĂ©e, ils croient avoir laissĂ© derriĂšre eux quelque chose de leur santĂ© morale.
Jamais je ne passe le seuil de cette ville dĂ©saffectĂ©e sans qu’elle me ramĂšne au sentiment de nos destinĂ©es interrompues. Metz est l’endroit oĂč l’on mesure le mieux la dĂ©pression de notre force. Ici l’on s’est fatiguĂ© pour une gloire, une patrie et une civilisation qui toutes trois gisent par terre. Seul un cercle de femmes les protĂšge encore. Instinctivement, je me dirige vers l’üle ChambiĂšres, et vais m’asseoir auprĂšs du monument que les Dames de Metz ont dressĂ© Ă  la mĂ©moire des soldats qu’elles avaient soignĂ©s. C’est une de nos pierres sacrĂ©es, un autel et un refuge, le dernier de nos menhirs.
Tout autour de ce haut lieu, le flot germain monte sans cesse et menace de tout submerger. Au nombre de vingt-quatre mille (sans compter la garnison), les immigrĂ©s dominent Ă©lectoralement les vingt mille indigĂšnes. Sous l’effort de cette inondation, l’édifice français va-t-il ĂȘtre emportĂ© ? Le voyageur qui arrive aujourd’hui Ăą Metz distingue, dĂšs l’abord, ce que vaudrait cette ville reconstruite Ăą l’allemande et selon les besoins du vainqueur. La gare neuve oĂč l’on dĂ©barque affiche la ferme volontĂ© de crĂ©er un style de l’empire, le style colossĂąl, comme ils disent en s’attardant sur la derniĂšre syllabe. Elle nous Ă©tonne par son style roman et par un clocher, qu’a dessinĂ©, dit-on, Guillaume II, mais rien ne s’élance, tout est retenu, accroupi, tassĂ© sous un couvercle d’un prodigieux vert-Ă©pinard. On y salue une ambition digne d’une cathĂ©drale, et ce n’est qu’une tourte, un immense pĂątĂ© de viande. La prĂ©tention et le manque de goĂ»t apparaissent mieux encore dans les dĂ©tails. N’a-t-on pas imaginĂ© de rappeler dans chacun des motifs ornementaux la destination de l’édifice ! En artistes vĂ©ridiques, nous autres, loyaux Germains, pour amuser nos sĂ©rieuses populations, qui viennent prendre un billet de chemin de fer, nous leur prĂ©senterons dans nos chapiteaux des tĂȘtes de soldats casquĂ©es de pointes, des figures d’employĂ©s aux moustaches stylisĂ©es, des locomotives, des douaniers examinant le sac d’un voyageur, enfin un vieux monsieur, en chapeau haut de forme, qui pleure de quitter son petit-fils
 Cette sĂ©rie de platitudes, produit d’une conception philosophique, vous n’en doutez pas, pourrait tant bien que mal se soutenir Ă  coups de raisonnements, mais nul homme de goĂ»t ne les excusera, s’il a vue leur morne moralitĂ©.
Au sortir de la gare, on tombe dans un quartier tout neuf, oĂč des centaines de maisons chaotiques nous allĂšchent d’abord par leur couleur cafĂ© au lait, chocolat ou thĂ©, rĂ©vĂ©lant chez les architectes germains une prĂ©dilection pour les aspects comestibles. Je n’y vois nulle large, franche et belle avenue qui nous mĂšne Ă  la ville, mais une mĂȘme folie des grandeurs dĂ©chaĂźne d’énormes caravansĂ©rails et des villas bourgeoises, encombrĂ©es de sculptures Ă©conomiques et tapageuses. En voici aux façades boisĂ©es et bariolĂ©es Ă  l’alsacienne, que flanquent des tourelles trop pointues pour qu’on y pĂ©nĂštre. En voilĂ  de tendance Louis XVI, mais bĂąties en pierre rouge, ornĂ©es de vases en fonte et couronnĂ©es de mansardes en fer-blanc. Ici du gothique d’Augsbourg, lĂ  quelques Ă©chantillons de ce roman qui semble toujours exciter mystĂ©rieusement la sensibilitĂ© prussienne. Enfin mille lutins, elfes et gnomes, courbĂ©s sous d’invisibles fardeaux.
Je ne ressens aucune Ă©motion de force devant ces façades Ă  pierres non Ă©quarries, qui ne sont qu’un mince placage sur briques. Et je n’éprouve pas davantage un joyeux sentiment de fantaisie Ă  voir un maçon tirer de son sac, au hasard, un assortiment infini de motifs architecturaux. Ces constructeurs possĂšdent une Ă©rudition Ă©tendue, et, par exemple, un Français voit bien qu’ils ont copiĂ© Ă  Versailles d’excellents morceaux, de trĂšs bons Ɠils-de-bƓuf, des pilastres, des obĂ©lisques ; mais ces motifs, juxtaposĂ©s au petit bonheur, ne sont pas aux justes proportions, ni exĂ©cutĂ©s avec les matĂ©riaux convenables. Tout ce quartier neuf, qui vise Ă  la puissance et Ă  la richesse, n’est que mensonge, dĂ©sordre et pauvretĂ© de gĂ©nie. C’est proprement inconcevable, sinon comme le dĂ©lire d’élĂšves surmenĂ©s ou la farce injurieuse de rapins qui bafouent leurs maĂźtres. On croit voir, figĂ©es en saindoux, les folies d’étudiants architectes Ă  la taverne d’Auerbach.
Dans un coin de cet immense cauchemar, en contre-bas, sous un pourrissoir de vieux paniers et de seaux bosselĂ©s, n’est-ce pas l’ancienne porte Saint-TiĂ©baud ? Ah ! qu’ils la dĂ©molissent, qu’ils lui donnent le coup de grĂące, Ă  cette martyre !
On reprend pied, on respire, sitĂŽt franchie la ligne des anciens remparts. Je ne dis pas que ces maisons petites, trĂšs usagĂ©es, avec leurs volets commodes et parfois des balcons en fer forgĂ©, soient belles, mais elles ne font pas rire d’elles. De simples gens ont construit ces demeures Ă  leur image, et voulant vivre paisiblement une vie messine, ils n’ont pas eu souci de chercher des modĂšles dans tous les siĂšcles et par tous les climats. Voyez, au pied de l’Esplanade, comme les honnĂȘtes bĂątiments de l’ancienne poudrerie, recouverts de grands arbres et baignĂ©s par la Moselle, sont harmonieux, aimables. Tant de mesure et de repos semble pauvre aux esthĂ©ticiens allemands. Ce pays Ă©tait Ă©purĂ©, dĂ©cantĂ©, je voudrais dire spiritualisĂ© ; ils le troublent, le surchargent, l’encombrent, ils y versent une lie. Le faĂźte des maisons demeure encore français, mais peu Ă  peu le rez-de-chaussĂ©e, les magasins se germanisent. A tout instant, on voit racler une façade, la jeter bas, puis appliquer sur la pauvre bĂątisse Ă©ventrĂ©e une armature de fer, avec de grandes glaces oĂč, le soir, des lampes Ă©lectriques inonderont d’aveuglantes clartĂ©s des montagnes de cigares. L’ennui teuton commence Ă  possĂ©der Metz. Et pis que l’ennui, cette odeur avilissante de buffet, de biĂšre aigrie, de laine mouillĂ©e et de pipe refroidie.
Certains quartiers pourtant demeurent intacts : Mazelle, le Haut de Sainte-Croix et les quais oĂč l’on retrouve les aspects Ă©ternels de Metz. Les paysans viennent toujours porter aux vieux moulins le blĂ© de la Seille et du Pays-Haut. Les femmes en bonnet gaufrĂ© conduisent leurs charrettes pleines de beurre, d’Ɠufs et de volailles. L’hĂŽtel de la Ville de Lyon regorge encore, le samedi, de campagnards venus au marchĂ© des petits cochons, sur le parvis de la cathĂ©drale ; et l’auberge de la CĂŽte de Delme reste le rendez-vous des amateurs, quand les maquignons prĂ©sentent, sur la place Mazelle, les gros chevaux de labour, un tortillon de paille tressĂ© dans la queue.
Suis-je dupe d’une illusion, d’une rĂȘverie de mon cƓur prĂ©venu ? Dans le rĂ©seau de ces rues Ă©troites, oĂč les vieux noms sur les boutiques me donnent du plaisir, je crois sentir la simplicitĂ© des anciennes mƓurs polies et ces vertus d’humilitĂ©, de dignitĂ©, qui, chez nos pĂšres, s’accordaient. J’y goĂ»te la froideur salubre des disciplines de jadis, mĂȘlĂ©es d’humour et si diffĂ©rentes de la contrainte prussienne. Un attendrissement nous gagne dans ces vieilles parties de Metz, oĂč dominent aujourd’hui les femmes et les enfants. Elles avivent notre don de spiritualitĂ©. Elles nous ramĂšnent vers la France, et la France, lĂ -bas, c’est le synonyme le plus frĂ©quent de l’idĂ©al. Ceux qui lui demeurent fidĂšles mettent un sentiment au-dessus de leurs intĂ©rĂȘts positifs. Si quelques-uns la renient, c’est qu’ils sont asservis par des raisons utilitaires et qu’ils sacrifient la part de la vie morale.
Un jour que je me prĂȘtais Ă  ces influences du vieux Metz, le long de la Moselle, et que je suivais le quai FĂ©lix-MarĂ©chal, je vis venir, le nez en l’air et cherchant, semblait-il, un logement Ă  louer, un grand et vigoureux jeune Allemand. L’Allemand classique, coiffĂ© d’un feutre verdĂątre, et vĂȘtu ou plutĂŽt matelassĂ© d’une redingote universitaire. C’est l’uniforme de l’immense armĂ©e des envahisseurs pacifiques, qui s’est mise en marche derriĂšre les vainqueurs et qui dĂ©file depuis trente-cinq ans.
Personne ne le regardait. Il n’éveillait ni l’instinct comique, ni l’hostilitĂ©. Il paraissait vraiment banal : un Prussien de plus arrivait, une goutte d’eau dans ce dĂ©luge.
Autour de lui, c’était la riviĂšre glissante, ses tilleuls, l’üle aux grands arbres que l’on appelle du nom charmant de Jardin d’Amour, la rumeur des moulins et les jeux des petits polissons : tout le vieux Metz d’avant la guerre, oĂč rien ne fait dĂ©faut que nos uniformes. Il me rappela d’une certaine maniĂšre (avec moins de rayonnement, faut-il le dire ?) ce mĂ©morable portrait, Ă  la fois ridicule et beau, que l’on voit au musĂ©e de Francfort, du jeune Goethe Ă©tendu dans la campagne romaine et pareil Ă  un jeune Ă©lĂ©phant. Oui, ce nouveau venu, c’était un puissant garçon, mais informe. Et tandis qu’il se balançait, indĂ©cis, sous l’écriteau d’un appartement garni, je me pris Ă  penser que j’avais devant moi un phĂ©nomĂšne.
Ce qui fournit la matiĂšre de tant de livres importants sur l’histoire, sur les races, sur les destinĂ©es de la France et de l’Allemagne, Ă©tait lĂ  vivant sous mes yeux. Le hasard qui m’avait permis d’assister au dĂ©barquement de ce jeune Prussien a continuĂ© de me favoriser. J’ai pu connaĂźtre l’emploi de son temps au cours de sa premiĂšre annĂ©e messine. C’est tout un petit roman, plein de sens, qui Ă©claire d’un jour net et froid l’état des choses franco-allemandes en Lorraine. Il nous a semblĂ©, en le rapportant, que nous relevions le point aprĂšs un grand naufrage.
Bernardin de Saint-Pierre admire que le cĂ©lĂšbre Poussin, quand il peignit le DĂ©luge, se soit bornĂ© Ă  faire voir une famille qui lutte contre la catastrophe. Pas n’est besoin de grandes machines. A ceux qui liront le drame sans gloire dont une heureuse fortune m’a fait le confident, je crois que je rendrai sensible la position pathĂ©tique de la France, battue par la vague allemande sur les fonds de Lorraine. Mais il faut qu’on me laisse traiter chaque scĂšne amplement, sereinement, sans hĂąte, d’autant qu’on ne gagnerait rien Ă  passer au tableau suivant : je ne prĂ©pare aucune surprise et ne fais pas appel aux amateurs d’aventures. A dĂ©faut d’un sentiment profond de la beautĂ© idĂ©ale, je voudrais mettre ici un sĂ©rieux sans sĂ©cheresse, une clairvoyance calme, animĂ©e de confiance dans la vie, sinon dans la France.
Cependant, le jeune Ă©tranger Ă©tait entrĂ© dans la maison. Au premier Ă©tage, une jeune fille lui ouvrit, une demoiselle trĂšs simplement vĂȘtue. Il demanda en allemand Ă  voir ce qui Ă©tait Ă  louer. Elle rĂ©pondit en français qu’elle allait prĂ©venir sa grand’mĂšre. Et le laissant dans le corridor, elle disparut avec la prestesse d’une jeune chĂšvre.
– Ce sont des Lorraines, se dit-il avec plaisir, car il rĂȘvait, comme tous les Allemands, d’utiliser son sĂ©jour Ă  Metz pour perfectionner son français.
Madame Baudoche Ă©tait en train de coudre une robe pour une voisine, dans une des chambres garnies. Bien qu’elle fĂ»t contrariĂ©e de montrer du dĂ©sordre Ă  l’étranger, elle ne voulut pas le laisser debout dans le couloir, et, d’une trĂšs bonne maniĂšre, elle le pria d’entrer, de s’asseoir, puis, sans hĂąte, et l’ayant bien examinĂ©, elle lui fit visiter les deux belles chambres sur la rue, dont elle demandait cinquante marks par mois :
– Vous voyez, disait-elle, que vous serez bien chez vous. Le corridor coupe en deux l’appartement : vous d’un cĂŽtĂ©, et nous de l’autre, avec la cuisine et les deux chambres que ma petite-fille et moi habitons
 Vous aurez un lit Ă  la française et non pas un de ces lits avec des draps comme des mouchoirs
 Quel mĂ©tier faites-vous ? Professeur ? Vous n’avez qu’à passer deux fois la Moselle, sur le pont de la PrĂ©fecture et sur le pont Moreau, et, par la rue Saint-Georges, vous tombez droit sur votre lycĂ©e.
En effet, un jeune homme ne pourrait pas trouver, dans Metz, une installation meilleure pour son travail. La vue est charmante, et les meubles, qui servent Ă  la famille Baudoche depuis une soixantaine d’annĂ©es, sans avoir de valeur, sont de bonne qualitĂ© matĂ©rielle et morale, solides et bien adaptĂ©s Ă  la vie modeste d’honnĂȘtes gens. Mais M. le Docteur FrĂ©dĂ©ric Asmus, plutĂŽt que de regarder le quai, les gravures au mur et les meubles confortables, a souci de s’assurer qu’il fait bien comprendre son français.
D’un ton calme et sĂ©rieux, en s’aidant çà et lĂ  de quelques mots allemands, il raconte qu’il arrive de Koenigsberg, qu’il a vingt-cinq ans, qu’il ne gagne encore que deux mille deux cents marks, mais qu’il sera bientĂŽt Oberlehrer, avec un traitement de trois mille marks au moins. Il est mis en confiance par cette atmosphĂšre de modeste intimitĂ©, dont un Allemand ne peut pas se passer. Amplement, naĂŻvement, il raconte tout ce, qui le concerne. Sa lenteur met un peu d’ennui dans cette chambre, pleine du joli soleil de septembre ; Madame Baudoche frotte avec la paume de sa main la belle armoire lorraine, bien brodĂ©e et de chĂȘne Ă©clatant ; mais aprĂšs une longue nuit de chemin de fer, le brave garçon paraĂźt ne sentir l’ennui que comme un repos, et l’aimable logeuse doit enfin lui rappeler qu’il a sans doute laissĂ© un bagage Ă  la gare.
Elle l’accompagne sur le palier :
– A tout à l’heure, Monsieur.
– Monsieur le docteur, prĂ©cise-t-il avec ingĂ©nuitĂ©, en rappelant le titre auquel il a droit.
Sous le pas qui s’éloigne, l’escalier de bois gĂ©mit, et la jeune Colette rĂ©apparaĂźt tout Ă©gayĂ©e de malice :
– Est-il assez lourdaud, Monsieur le docteur ! Quelles bottes et quelle cravate !
– Dame ! rĂ©pond la grand’mĂšre, il est Ă  la mode de Koenigsberg.
De leur fenĂȘtre, les deux femmes le regardent jusqu’à ce qu’il ait tournĂ© dans la rue de la PrĂ©fecture.
– Crois-tu qu’il revienne ? dit la vieille dame. J’aurais peut-ĂȘtre dĂ» lui demander une acompte.
Elles se rassurĂšrent en jugeant qu’il avait l’air honnĂȘte. Et d’ailleurs pour cinquante marks, oĂč trouverait-il deux chambres aussi confortables ?
Madame Baudoche apporte des draps frais au lit de l’étranger, tandis que sa petite-fille approvisionne d’eau la toilette et dĂ©mĂ©nage le mannequin, avec les corbeilles de couture, dans la salle Ă  manger.
Ce n’est pas sans regret que les deux femmes habiteront, sur l’antre cĂŽtĂ© du corridor, deux piĂšces moins bien Ă©clairĂ©es. La vue de la Moselle, l’animation du quai, ses arbres et la rumeur des moulins leur faisaient une sociĂ©tĂ© agrĂ©able. Pour la derniĂšre fois, elles laissent toutes les portes ouvertes, et le soleil qui brille dans les chambres garnies leur paraĂźt un bonheur d’oĂč elles sont exilĂ©es.
– Ah ! soupire Madame Baudoche, quelle humiliation pour ton pauvre pĂšre, s’il avait imaginĂ© qu’un jour je cĂ©derais une partie de l’appartement. Et Ă  qui ? Ă  un Prussien !
– Aujourd’hui, dit la jeune fille, il n’y a qu’eux pour louer des chambres meublĂ©es. Personne ne pensera Ă  nous mal juger. Mais si tu veux, nous pouvons encore le refuser.
– Eh non ! fit la grand’mĂšre. Il m’ennuie, mais je l’ai trop dĂ©sirĂ©.
Pour comprendre cette exclamation, oĂč s’affirmait le vigoureux bon sens (le Madame Baudoche, il faut connaĂźtre la fortune prĂ©caire des deux femmes. Elles vivaient d’une rente de douze cents francs, que leur faisait une famille messine, Ă©migrĂ©e Ă  Paris, les V
, en souvenir ...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Colette Baudoche- Histoire d'une jeune fille de Metz