Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie
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Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie

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Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie

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À propos de ce livre

Voyage du Prince Fan-Federin dans la romancie was written in the year 1735 by Guillaume-Hyacinthe Bougeant. This book is one of the most popular novels of Guillaume-Hyacinthe Bougeant, and has been translated into several other languages around the world.

This book is published by Booklassic which brings young readers closer to classic literature globally.

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635260898

Chapitre 1

 

Voyage merveilleux du Prince Fan-Férédin dans la romancie. Départ du Prince Fan-Férédin pour la romancie.

Je pourrois, suivant un usage assez reçû, commencer cette histoire par le dĂ©tail de ma naissance, et de tous les soins que la Reine Fan-FĂ©rĂ©dine ma mere prit de mon Ă©ducation ; c’étoit la plus sage et la plus vertueuse princesse du monde ; et sans vanitĂ©, j’ai quelquefois oĂŒi dire, que par la sagesse de ses instructions elle avoit sçû me rendre en moins de rien un des princes les plus accomplis que l’on eĂ»t encore vĂ»s. Je suis mĂȘme persuadĂ© que ce rĂ©cit, ornĂ© de belles maximes sur l’éducation des jeunes princes, figureroit assez bien dans cet ouvrage ; mais comme mon dessein est moins de parler de moi-mĂȘme, que de raconter les choses admirables que j’ai vuĂ«s, j’ai crĂ» devoir omettre ce dĂ©tail, et toute autre circonstance inutile Ă  mon sujet.
La Reine Fan-FĂ©rĂ©dine aimoit assez peu les romans ; mais ayant lĂ» par hasard dans je ne sçai quel ouvrage, composĂ© par un auteur d’un caractere respectable, que rien n’est plus propre que cette lecture pour former le cƓur et l’esprit des jeunes personnes, elle se crĂ»t obligĂ©e en conscience de me faire lire le plus que je pourrois de romans, pour m’inspirer de bonne heure l’amour de la vertu et de l’honneur, l’horreur du vice, la fuite des passions, et le goĂ»t du vrai, du grand, du solide, et de tout ce qu’il y a de plus estimable. En effet, comme je suis nĂ©, dit-on, avec d’assez heureuses dispositions, je ressentis bien-tĂŽt les fruits d’une si loĂŒable Ă©ducation. AgitĂ© de mille mouvemens inconnus, le cƓur plein de beaux sentimens, et l’esprit rempli de grandes idĂ©es, je commençai Ă  me dĂ©goĂ»ter de tout ce qui m’environnoit. Quelle diffĂ©rence, disois-je, de ce que je vois et de tout ce que j’entends, avec ce que je lis dans les romans ! Je vois ici tout le monde s’occuper d’objets d’intĂ©rĂȘt, de fortune, d’établissement, ou de plaisirs frivoles. Nulle avanture singuliere : nulle entreprise hĂ©roĂŻque. Un amant, si on l’en croyoit, iroit d’abord au dĂ©nouĂ«ment, sans s’embarrasser d’aucun prĂ©liminaire. Quel procĂ©dé ! Pourquoi faut-il que je sois nĂ© dans un climat oĂč les beaux sentimens sont si peu connus ? Mais pourquoi, ajoĂ»tois-je, me condamner moi-mĂȘme Ă  passer tristement mes jours dans un pays oĂč l’on ne sçait point estimer les vertus hĂ©roĂŻques ? J’y regne, il est vrai, mais quelle satisfaction pour un grand cƓur de regner sur des sujets presque barbares ? Abandonnons-les Ă  leur grossieretĂ©, et allons chercher quelque glorieux Ă©tablissement dans ce pays merveilleux des romans, oĂč le peuple mĂȘme n’est composĂ© que de hĂ©ros.
Telles furent les pensĂ©es qui me vinrent Ă  l’esprit, et je ne tardai pas Ă  les mettre en exĂ©cution. AprĂšs m’ĂȘtre muni secretement de tout ce que je crĂ»s nĂ©cessaire pour mon voyage, je partis pendant une belle nuit au clair de la lune, pour tenter, en parcourant le monde, la dĂ©couverte que je mĂ©ditois. Je traversai beaucoup de plaines, je passai beaucoup de montagnes ; je rencontrai dans mon chemin des chĂąteaux et des villes sans nombre ; mais ne trouvant par-tout que des pays semblables Ă  ceux que je connoissois dĂ©ja, et des peuples qui n’avoient rien de singulier, je commençai enfin Ă  m’ennuyer de la longueur de mes recherches. J’avois beau m’informer et demander des nouvelles du pays des romans ; les uns me rĂ©pondoient qu’ils ne le connoissoient pas mĂȘme de nom : les autres me disoient qu’à la vĂ©ritĂ© ils en avoient entendu parler, mais qu’ils ignoroient dans quel lieu du monde il Ă©toit situĂ©. La seule chose qui soĂ»tenoit mon courage dans la longueur et la difficultĂ© de l’entreprise, c’est la rĂ©flexion que je faisois, qu’aprĂšs tout il falloit bien que la romancie fĂ»t quelque part, et que ce ne pouvoit pas ĂȘtre une chimere. Car enfin, disois-je, si ce pays n’existoit pas rĂ©ellement, il faudroit donc traiter de visions ridicules et de fables puĂ©riles tout ce qu’on lit dans les romans. Quelle apparence ! Eh ! Que faudroit-il donc penser de tant de personnes si raisonnables d’ailleurs qui ont tant de goĂ»t pour ces lectures, et de tant de gens d’esprit qui employent leurs talens Ă  composer de pareils ouvrages ? Cependant malgrĂ© ces rĂ©flexions, j’avoue que je fus quelquefois sur le point de me repentir de mon entreprise, et qu’il s’en fallĂ»t peu que je ne prisse la rĂ©solution de retourner sur mes pas. Mais non, me dis-je, encore une fois Ă  moi-mĂȘme : aprĂšs en avoir tant fait, il seroit honteux de reculer. Que sçais-je si je ne touche pas au terme tant desiré ? J’y touchois en effet sans le sçavoir, et voici comment la chose arriva par un accident bizare, qui par-tout ailleurs m’auroit coĂ»tĂ© la vie.
AprĂšs avoir montĂ© pendant plusieurs heures les grandes montagnes de la Troximanie, j’arrivai enfin avec beaucoup de peine jusqu’à leur cime, conduisant mon cheval par la bride. LĂ , je sentis tout-Ă -coup que la terre me manquoit sous les pieds ; en effet mon cheval roula d’un cĂŽtĂ© de la montagne, et je culbutai de l’autre, sans sçavoir ce que je devins depuis ce moment jusqu’à celui oĂč je me trouvai au fond d’un affreux prĂ©cipice, environnĂ© de toutes parts de rochers effroyables. Il est visible que quelque bon gĂ©nie me soutint dans ma chĂ»te pour m’empĂȘcher d’y pĂ©rir ; et je m’en serois apperçû dĂšs-lors si j’avois eĂ» toutes les connoissances que j’ai acquises depuis. Mais la pensĂ©e ne m’en vint point, et j’attribuai Ă  un heureux hasard ce qui Ă©toit l’effet d’une protection particuliere de quelque fĂ©e, de quelque gĂ©nie favorable, ou de quelqu’une de ces petites divinitĂ©s qui voltigent dans le pays des romans en plus grand nombre que les papillons ne volent au printems dans nos campagnes. On n’aura cependant pas de peine Ă  comprendre que dans la situation oĂč je me trouvai, aprĂšs avoir levĂ© les yeux au ciel pour contempler la hauteur Ă©norme d’oĂč j’étois tombĂ©, et avoir envisagĂ© toute l’horreur des lieux qui m’environnoient, je dĂ»s m’abandonner aux plus tristes rĂ©flexions. « pauvre Fan-FĂ©rĂ©din, que vas-tu devenir dans cette horrible solitude
 par oĂč sortiras-tu de ces antres profonds
 tu vas pĂ©rir  » O que je dis de choses touchantes, et que je me plaignis Ă©loquemment du destin, de la fortune, de mon Ă©toile, et de tout ce qui me vint Ă  l’esprit ! Mais on va voir combien j’avois tort de me plaindre ; et par le droit que j’ai acquis dans le pays des romans de faire des rĂ©flexions morales, je voudrois que les hommes apprissent une bonne fois par mon exemple, Ă  respecter les dĂ©crets suprĂȘmes qui reglent leur sort, et Ă  ne se jamais plaindre des Ă©vĂ©nemens qui leur semblent les plus contraires Ă  leurs desirs. Cependant la nuit qui approchoit, redoubloit mon inquiĂ©tude, et je me hĂątai de profiter du peu de jour et de forces qui me restoient pour sortir, s’il Ă©toit possible, de l’abĂźme oĂč j’étois. En vain aurois-je essayĂ© de gagner les hauteurs : elles Ă©toient trop escarpĂ©es. Il ne me restoit qu’à chercher dans les fonds une issuĂ« pour me conduire Ă  quelque endroit habitĂ©, ou du moins habitable. Nul vestige de sentier ne s’offrit Ă  ma vûë. Sans doute j’étois le premier homme qui fĂ»t descendu dans ce prĂ©cipice. Je fĂ»s ainsi rĂ©duit Ă  me faire une route Ă  moi-mĂȘme, et en effet je fis si bien, en grimpant et sautant de rocher en rocher, tantĂŽt m’accrochant aux brossailles, tantĂŽt me laissant couler sur le dos ou sur le ventre, qu’aprĂšs avoir fait quelque chemin de cette maniere, j’arrivai Ă  un endroit plus dĂ©couvert et plus spatieux.
Le premier objet qui me frappa la vûë, fĂ»t une espece de cimetiere, un charnier, ou un tas d’ossemens d’une espece singuliere. C’étoient des cornes de toutes les figures, de grands ongles crochus, des peaux seches de dragons ailĂ©s, et de longs becs d’oiseaux de toute espece. Je me rappellai aussi-tĂŽt ce que j’avois lĂ» dans les romans, des griffons, des centaures, des hippogriffes, des dragons volans, des harpies, des satyres, et d’autres animaux semblables, et je commençai Ă  me flatter que je n’étois pas loin du pays que je cherchois. Ce qui me confirma dans cette idĂ©e, c’est qu’un moment aprĂšs je vis sortir de l’ouverture d’un antre un centaure, qui venant droit Ă  l’endroit que j’observois, y jetta une grande carcasse d’hippogriffe qu’il avoit apportĂ©e sur son dos, aprĂšs quoi il se retira, et s’enfonça dans l’antre d’oĂč il Ă©toit sorti. Quoique je connusse parfaitement les centaures, par les lectures que j’avois faites, et que d’ailleurs je ne manque point de courage, j’avoue que cette premiere vûë me causa quelque Ă©motion ; je me cachai mĂȘme derriere un rocher pour observer le centaure jusqu’à ce qu’il se fĂ»t retiré ; mais alors reprenant mes esprits, et m’armant de rĂ©solution : qu’ai-je Ă  craindre, dis-je en moi-mĂȘme, de ce centaure ? J’ai lĂ» dans tous les romans que les centaures sont les meilleures gens du monde. Loin d’ĂȘtre ennemis des hommes, ils sont toĂ»jours disposĂ©s Ă  leur rendre service, et Ă  leur apprendre mille secrets curieux, tĂ©moin le centaure Chiron. Peut-ĂȘtre celui-ci me portera-t-il au pays des romans ; du moins il ne refusera pas de me tirer de ces horribles lieux. Je marchai aussi-tĂŽt vers l’antre, et m’arrĂȘtant Ă  l’entrĂ©e, je l’appellai Ă  haute voix en ces termes : « charitable centaure, si votre cƓur peut ĂȘtre touchĂ© par la pitiĂ©, soyez sensible au malheur d’un prince qui implore votre gĂ©nĂ©rositĂ©. C’est le Prince Fan-FĂ©rĂ©din qui vous appelle ». Mais j’eus beau appeller et Ă©lever ma voix, personne ne parut.
Plein d’inquiĂ©tude et d’une frayeur secrete, j’entrai dans la caverne, et je vis que c’étoit un chemin soĂ»terrain qui s’enfonçoit beaucoup sous la montagne. Quel parti prendre ? Je n’en trouvai pas d’autre que de suivre le centaure, jugeant qu’il n’étoit pas possible que je ne le rencontrasse, ou que je ne me fisse bien-tĂŽt entendre Ă  lui. Mais avouerai-je ici ma foiblesse, ou ne l’avouerai-je pas ? Faut-il parler ou me taire ? VoilĂ  une de ces situations difficiles, oĂč j’ai souvent vĂ» dans les romans les hĂ©ros qui racontent leurs avantures, et dont on ne connoĂźt bien l’embarras que lorsqu’on l’éprouve soi-mĂȘme. AprĂšs tout, comme j’ai remarquĂ© que tout bien considĂ©rĂ©, ces messieurs prennent toĂ»jours le parti d’avouer de bonne grace, j’avoue donc aussi qu’à peine j’eus fait cent pas dans ce profond souterrain, en suivant toĂ»jours le rocher qui servoit de mur, que saisi d’horreur de me voir dans un lieu si affreux sans sçavoir par quelle issuĂ« j’en pourrois sortir, je me laissai tomber de foiblesse, et presque sans connoissance. Il m’en resta cependant assez pour me souvenir que dans une situation Ă  peu prĂšs semblable, le cĂ©lebre Cleveland avoit eu l’esprit de s’endormir ; et trouvant l’expĂ©dient assez bon, je ne balançai pas Ă  l’imiter. Mais aprĂšs un tel aveu, il est bien juste que je me dĂ©dommage par quelque trait qui fasse honneur Ă  mon courage. Je me relevai donc bien-tĂŽt aprĂšs, et considĂ©rant qu’il falloit me rĂ©soudre Ă  pĂ©rir dans ces profondes tĂ©nebres des entrailles de la terre, ou trouver le moyen d’en sortir, je rĂ©solus de continuer ma route jusqu’oĂč elle me pourroit conduire. Qu’on se reprĂ©sente un homme marchant sans lumiere dans un boyau Ă©troit de la terre Ă  deux lieuĂ«s peut-ĂȘtre de profondeur, obligĂ© souvent de ramper, de se replier, de se glisser comme un serpent dans des passages serrĂ©s, sans pouvoir avancer qu’en tĂątant de la main, et qu’en sondant du pied le terrain.
Telle Ă©toit ma situation, et on aura sans doute de la peine Ă  en imaginer une plus affreuse. Le souvenir de cette avanture me fait encore tant d’horreur, que j’en abrĂ©ge le rĂ©cit. Mais ce que je ne puis m’empĂȘcher de dire, c’est que je n’ai jamais mieux reconnu qu’alors la vĂ©ritĂ© de ce que j’ai vĂ» dans tous les romans, qu’on n’est jamais plus prĂšs d’obtenir le bien qu’on dĂ©sire, qu’au moment que l’on en paroĂźt le plus Ă©loigné : car voici ce qui m’arriva. AprĂšs avoir marchĂ© long-tems de la façon que je viens de raconter, je crus que je commençois Ă  appercevoir quelque foible lumiere. J’eus peine d’abord Ă  me le persuader, et je l’attribuai Ă  un effet de mon imagination inquiĂ©te et troublĂ©e. Cependant j’apperçus bien-tĂŽt que cette lumiere augmentoit sensiblement, et je n’en pĂ»s plus douter, lorsque je vis que je commençois Ă  distinguer les objets. ĂŽ quelle joye je ressentis dans ce moment ! Tout mon corps en tressaillit, et je ne connois point de termes capables de l’exprimer. Je ne comprends pas encore comment ce passage subit d’une extrĂȘme tristesse Ă  un si grand excĂšs de joye, ne me causa pas une rĂ©volution dangereuse. Quoiqu’il en soit, voyant que le jour augmentoit toĂ»jours, et jugeant que la sortie que je cherchois ne devoit pas ĂȘtre Ă©loignĂ©e, je doublai le pas, ou plĂ»tĂŽt je courus avec empressement pour y arriver. Je la trouvai en effet, et je vis
 le dirai-je ? OĂŒi, je vis les choses les plus Ă©tonnantes, les plus admirables, les plus charmantes qu’on puisse voir. Je vis en un mot le pays des romans. C’est ce que je vais raconter dans le chapitre suivant.

Chapitre 2

Entrée du Prince Fan-Férédin dans la romancie. Description et histoire naturelle du pays.

La plĂ»part des voyageurs aiment Ă  vanter la beautĂ© des pays qu’ils ont parcourus, et comme la simple vĂ©ritĂ© ne leur fourniroit pas assez de merveilleux, ils sont obligĂ©s d’avoir recours Ă  la fiction. Pour moi loin de vouloir exaggĂ©rer, je voudrois aucontraire pouvoir dissimuler une partie des merveilles que j’ai vuĂ«s, dans la crainte oĂč je suis qu’on ne se dĂ©fie de la sincĂ©ritĂ© de ma relation. Mais faisant rĂ©flexion qu’il n’est pas permis de supprimer la vĂ©ritĂ© pour Ă©viter le soupçon de mensonge, je prends gĂ©nĂ©reusement le parti qui convient Ă  tout historien sincere, qui est de raconter les faits dans la plus exacte vĂ©ritĂ©, sans aucun intĂ©rĂȘt de parti, sans exaggĂ©ration, et sans dĂ©guisement. Je prĂ©vois que les esprits forts s’obstineront dans leur incrĂ©dulitĂ© ; mais leur incrĂ©dulitĂ© mĂȘme leur tiendra lieu de punition, tandis que les esprits raisonnables auront la satisfaction d’apprendre mille choses curieuses qu’ils ignoroient. Je reprends donc la suite de mon rĂ©cit.
A peine fus-je arrivĂ© Ă  la sortie du chemin souterrain, que jettant les yeux sur la vaste campagne qui s’offroit Ă  mes regards, je fus frappĂ© d’un Ă©tonnement que je ne puis mieux comparer qu’à l’admiration oĂč seroit un aveugle nĂ© qui ouvriroit les yeux pour la premiere fois : cette comparaison est d’autant plus juste, que tous les objets me parurent nouveaux, et tels que je n’avois rien vĂ» de semblable. C’étoient Ă  la vĂ©ritĂ© des bois, des rivieres, des fontaines ; je distinguois des prairies, des collines, des vergers ; mais toutes ces choses sont si diffĂ©rentes de tout ce que dans ce pays-ci nous appellons du mĂȘme nom, qu’on peut dire avec vĂ©ritĂ© que nous n’en avons que le nom et l’ombre. La premiere rĂ©flexion qui me vint Ă  l’esprit, fut de songer qu’il y avoit sous la terre beaucoup de pays que nous ne connoissions pas, ce qui me parut une observation importante pour la gĂ©ographie et la physique ; mais il est vrai qu’entraĂźnĂ© par la curiositĂ© et l’admiration des objets qui s’offroient Ă  mes yeux, je ne m’arrĂȘtai pas long tems Ă  ces rĂ©flexions philosophiques.
J’entrai dans la campagne sans trop sçavoir oĂč je tournerois mes pas, me sentant Ă©galement attirĂ© de tous cĂŽtĂ©s par des beautĂ©s nouvelles, et pouvant Ă  peine me donner le loisir d’en considĂ©rer aucune en particulier. Je me dĂ©terminai enfin Ă  suivre une charmante riviere qui serpentoit dans la plaine. Cette riviere Ă©toit bordĂ©e d’un gazon le plus beau, le plus riant, le plus tendre qu’on puisse imaginer, et ce gazon Ă©toit embelli de mille fleurs de diffĂ©rente espece. Elle arrosoit une prairie d’une beautĂ© admirable, dont l’herbe et les fleurs parfumoient l’air d’une odeur exquise, et si en serpentant elle sembloit quelquefois retourner sur ses pas, c’est sans doute parce qu’elle avoit un regret sensible de quitter un si beau lieu. La prairie Ă©toit ornĂ©e dans toute son Ă©tenduĂ« de bosquets dĂ©licieux, placĂ©s dans de justes distances pour plaire aux yeux, et comme si la nature aimoit aussi quelquefois Ă  imiter l’art, comme l’art se plaĂźt toĂ»jours Ă  imiter la nature, j’apperçus dans quelques endroits des especes de desseins rĂ©guliers formĂ©s de gazon, de fleurs et d’arbrisseaux qui faisoient des parterres charmans ; mais la riviere elle-mĂȘme sembloit Ă©puiser toute mon admiration. L’eau en Ă©toit plus claire et plus transparente que le crystal. Pour peu qu’on voulĂ»t prĂȘter l’oreille, on entendoit ses ondes gĂ©mir tendrement, et ses eaux murmurer doucement ; et ce doux murmure se joignant au chant mĂ©lodieux des cygnes, qui sont lĂ  fort communs, faisoit une musique extrĂȘmement touchante. Au lieu de sable on voyoit briller au fond de la riviere des nacres de perle, et mille pierres prĂ©cieuses ; et on distinguoit sans peine dans le sein de l’onde un nombre infini de poissons dorĂ©s, argentĂ©s, azurĂ©s, pourpre, qui pour rendre le spectacle plus aimable, se plaisoient Ă  faire ensemble mille agrĂ©ables jeux. C’est pourtant dommage, dis-je tout bas, qu’on ne puisse point passer d’un bord Ă  l’autre pour joĂŒir Ă©galement des deux cĂŽtĂ©s de la riviere. Le croira-t-on ? Sans doute ; car j’ai bien d’autres merveilles Ă  raconter. Ă  peine donc eus-je prononcĂ© tout bas ces paroles, que j’apperçus Ă  mes pieds un petit batteau fort propre. Je connoissois trop par mes lectures l’usage de ces batteaux, pour hĂ©siter d’y entrer. J’y descendis en effet, et dans le moment je fus portĂ© Ă  l’autre bord de la riviere. Que les incrĂ©dules osent aprĂšs cela faire valoir de mauvaises subtilitĂ©s contre des faits si avĂ©rĂ©s. Voici dequoi achever de les confondre, c’est que considĂ©rant un certain endroit de la riviere, et trouvant qu’il eĂ»t Ă©tĂ© Ă  propos d’y faire un pont, je fus tout Ă©tonnĂ© d’en voir un tout fait dans le moment mĂȘme ; de sorte qu’on n’a jamais rien vĂ» de si commode.
Cependant je continuai ma route, et je puis dire, sans exagĂ©ration, qu’à chaque pas je rencontrai de nouveaux sujets d’admiration. J’apperçus entr’autres un endroit dans la prairie qui me parut un peu plus cultivĂ©. J’eus la curiositĂ© d’en approcher, et je trouvai une fontaine. L’eau m’en parĂ»t si pure et si belle, que ne doutant pas qu’elle ne fĂ»t excellente, j’en voulus goĂ»ter ; mais que ne sentis-je pas dans le moment au dedans de moi-mĂȘme ! Quelle ardeur, quels transports, quels mouvemens inconnus, quels feux ! Ces feux avoient Ă  la vĂ©ritĂ© quelque chose de doux, et il me semble que j’y trouvois du plaisir ; mais ils Ă©toient en mĂȘme-tems si vifs et si inquiets, que ne me possĂ©dant plus moi-mĂȘme, et tombant alternativement de la plus vive agitation dans une profonde rĂȘverie, je marchois au travers de la prairie sans sçavoir prĂ©cisĂ©ment oĂč j’allois. Je rencontrai ainsi une seconde fontaine, et je ne sçais quel mouvement me porta Ă  boire aussi de son eau. Mais Ă  peine en eus-je avalĂ© quelques gouttes, que je me trouvai tout changĂ©. Il me sembla que mon cƓur Ă©toit enveloppĂ© d’une vapeur noire, et que mon esprit se couvroit d’un nuage sombre. Je sentis des transports furieux, et des mouvemens confus de haine et d’aversion pour tous les objets qui se prĂ©sentoient. Ce changement m’ouvrit les yeux. Je me rappellai ce que j’avois lĂ» des fontaines de l’amour et de la haine, et je ne doutai plus que ce ne fussent celles dont je venois de boire. Alo...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. ÉPÎTRE
  3. Chapitre 1
  4. Chapitre 2
  5. Chapitre 3
  6. Chapitre 4
  7. Chapitre 5
  8. Chapitre 6
  9. Chapitre 7
  10. Chapitre 8
  11. Chapitre 9
  12. Chapitre 10
  13. Chapitre 11
  14. Chapitre 12
  15. Chapitre 13
  16. Chapitre 14
  17. CONCLUSION
  18. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique