La Mare au Diable
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La Mare au Diable

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À propos de ce livre

Un jeune veuf, Germain, vit avec ses beaux parents et ses trois enfants. Son beau-pÚre le pousse à se remarier pour le bien des enfants. Germain accepte de rendre visite à une veuve d'une région voisine qui cherche un nouvel époux.
Il accepte d'accompagner Marie, une jeune fille qui a trouvĂ© une place dans une ferme de la mĂȘme rĂ©gion. Un des enfants de Germain, Petit-Pierre, a rĂ©ussi Ă  les suivre. Marie s'occupe de lui comme une vraie mĂšre.
Alors qu'un orage Ă©clate, ils se rĂ©fugient dans la forĂȘt et campent au bord d'une mare. Marie et Germain discutent, se confient et se rapprochent l'un de l'autre dans ce lieu d'enchantement... (extrait Wikipedia)

Foire aux questions

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Informations

Éditeur
Booklassic
ISBN
9789635246922

Appendice

I. Les noces de campagne

Ici finit l’histoire du mariage de Germain, telle qu’il me l’a racontĂ©e lui-mĂȘme, le fin laboureur qu’il est ! Je te demande pardon, lecteur ami, de n’avoir pas su te la traduire mieux ; car c’est une vĂ©ritable traduction qu’il faut au langage antique et naĂŻf des paysans de la contrĂ©e que je chante (comme on disait jadis). Ces gens-lĂ  parlent trop français pour nous et, depuis Rabelais et Montaigne, les progrĂšs de la langue nous ont fait perdre bien des vieilles richesses. Il en est ainsi de tous les progrĂšs, il faut en prendre son parti. Mais c’est encore un plaisir d’entendre ces idiotismes pittoresques rĂ©gner sur le vieux terroir du centre de la France ; d’autant plus que c’est la vĂ©ritable expression du caractĂšre moqueusement tranquille et plaisamment disert des gens qui s’en servent. La Touraine a conservĂ© un certain nombre prĂ©cieux de locutions patriarcales. Mais la Touraine s’est grandement civilisĂ©e avec et depuis la Renaissance. Elle s’est couverte de chĂąteaux, de routes, d’étrangers et de mouvement. Le Berry est restĂ© stationnaire, et je crois qu’aprĂšs la Bretagne et quelques provinces de l’extrĂȘme midi de la France, c’est le pays le plus conservĂ© qui se puisse trouver Ă  l’heure qu’il est. Certaines coutumes sont si Ă©tranges, si curieuses, que j’espĂšre t’amuser encore un instant, cher lecteur, si tu permets que je te raconte en dĂ©tail une noce de campagne, celle de Germain par exemple, Ă  laquelle j’eus le plaisir d’assister il y a quelques annĂ©es.
Car, hĂ©las ! tout s’en va. Depuis seulement que j’existe, il s’est fait plus de mouvement dans les idĂ©es et dans les coutumes de mon village, qu’il ne s’en Ă©tait vu durant des siĂšcles avant la RĂ©volution. DĂ©jĂ  la moitiĂ© des cĂ©rĂ©monies celtiques, paĂŻennes ou moyen Ăąge, que j’ai vues encore en pleine vigueur dans mon enfance, se sont effacĂ©es. Encore un ou deux ans peut-ĂȘtre, et les chemins de fer passeront leur niveau sur nos vallĂ©es profondes, emportant, avec la rapiditĂ© de la foudre, nos antiques traditions et nos merveilleuses lĂ©gendes.
C’était en hiver, aux environs du carnaval, Ă©poque de l’annĂ©e oĂč il est sĂ©ant et convenable chez nous de faire les noces. Dans l’étĂ© on n’a guĂšre le temps, et les travaux d’une ferme ne peuvent souffrir trois jours de retard, sans parler des jours complĂ©mentaires affectĂ©s Ă  la digestion plus ou moins laborieuse de l’ivresse morale et physique que laisse une fĂȘte. J’étais assis sous le vaste manteau d’une antique cheminĂ©e de cuisine, lorsque des coups de pistolet, des hurlements de chiens et les sons aigus de la cornemuse m’annoncĂšrent l’approche des fiancĂ©s. BientĂŽt le pĂšre et la mĂšre Maurice, Germain et la petite Marie, suivis de Jacques et de sa femme, des principaux parents respectifs et des parrains et marraines des fiancĂ©s, firent leur entrĂ©e dans la cour.
La petite Marie, n’ayant pas encore reçu les cadeaux de noces, appelĂ©s livrĂ©es, Ă©tait vĂȘtue de ce qu’elle avait de mieux dans ses hardes modestes : une robe de gros drap sombre, un fichu blanc Ă  grands ramages de couleurs voyantes, un tablier d’incarnat, indienne rouge fort Ă  la mode alors et dĂ©daignĂ©e aujourd’hui, une coiffe de mousseline trĂšs blanche et dans cette forme, heureusement conservĂ©e, qui rappelle la coiffure d’Anne Boleyn et d’AgnĂšs Sorel. Elle Ă©tait fraĂźche et souriante, point orgueilleuse du tout, quoiqu’il y eĂ»t bien de quoi. Germain Ă©tait grave et attendri auprĂšs d’elle, comme le jeune Jacob saluant Rachel aux citernes de Laban. Toute autre fille eĂ»t pris un air d’importance et une tenue de triomphe ; car, dans tous les rangs, c’est quelque chose que d’ĂȘtre Ă©pousĂ©e pour ses beaux yeux. Mais les yeux de la jeune fille Ă©taient humides et brillants d’amour ; on voyait bien qu’elle Ă©tait profondĂ©ment Ă©prise et qu’elle n’avait point le loisir de s’occuper de l’opinion des autres. Son petit air rĂ©solu ne l’avait point abandonnĂ©e ; mais c’était toute franchise et tout bon vouloir chez elle ; rien d’impertinent dans son succĂšs, rien de personnel dans le sentiment de sa force. Je ne vis oncques si gentille fiancĂ©e, lorsqu’elle rĂ©pondait nettement Ă  ses jeunes amies qui lui demandaient si elle Ă©tait contente.
– Dame ! bien sĂ»r ! je ne me plains pas du bon Dieu.
Le pĂšre Maurice porta la parole ; il venait faire les compliments et invitations d’usage. Il attacha d’abord au manteau de la cheminĂ©e une branche de laurier ornĂ©e de rubans ; ceci s’appelle l’exploit, c’est-Ă -dire la lettre de faire part ; puis il distribua Ă  chacun des invitĂ©s une petite croix faite d’un bout de ruban bleu traversĂ© d’un autre bout de ruban rose ; le rose pour la fiancĂ©e, le bleu pour l’épouseur ; et les invitĂ©s des deux sexes durent garder ce signe pour en orner les uns leur cornette, les autres leur boutonniĂšre le jour de la noce. C’est la lettre d’admission, la carte d’entrĂ©e.
Alors le pĂšre Maurice prononça son compliment. Il invitait le maĂźtre de la maison et toute sa compagnie, c’est-Ă -dire tous ses enfants, tous ses parents, tous ses amis et tous ses serviteurs, Ă  la bĂ©nĂ©diction, au festin, Ă  la divertissance, Ă  la dansiĂšre et Ă  tout ce qui en suit. Il ne manqua pas de dire : « Je viens vous faire l’honneur de vous semondre. » Locution trĂšs juste, bien qu’elle nous paraisse un contresens puisqu’elle exprime l’idĂ©e de rendre les honneurs Ă  ceux qu’on en juge dignes.
MalgrĂ© la libĂ©ralitĂ© de l’invitation portĂ©e ainsi de maison en maison dans toute la paroisse, la politesse, qui est grandement discrĂšte chez les paysans, veut que deux personnes seulement de chaque famille en profitent, un chef de famille sur le mĂ©nage, un de leurs enfants sur le nombre.
Ces invitations faites, les fiancés et leurs parents allÚrent dßner ensemble à la métairie.
La petite Marie garda ses trois moutons sur le communal et Germain travailla la terre comme si de rien n’était.
La veille du jour marquĂ© pour le mariage, vers deux heures de l’aprĂšs-midi, la musique arriva, c’est-Ă -dire le cornemuseux et le vielleux, avec leurs instruments ornĂ©s de longs rubans flottants, et jouant une marche de circonstance, sur un rythme un peu lent pour des pieds qui ne seraient pas indigĂšnes, mais parfaitement combinĂ© avec la nature du terrain gras et des chemins ondulĂ©s de la contrĂ©e. Des coups de pistolet, tirĂ©s par les jeunes gens et les enfants, annoncĂšrent le commencement de la noce. On se rĂ©unit peu Ă  peu et l’on dansa sur la pelouse devant la maison pour se mettre en train. Quand la nuit fut venue, on commença d’étranges prĂ©paratifs, on se sĂ©para en deux bandes, et quand la nuit fut close, on procĂ©da Ă  la cĂ©rĂ©monie des livrĂ©es.
Ceci se passait au logis de la fiancĂ©e, la chaumiĂšre Ă  la Guillette. La Guillette prit avec elle sa fille, une douzaine de jeunes et jolies pastoures, amies et parentes de sa fille, deux ou trois respectables matrones, voisines fortes en bec, promptes Ă  la rĂ©plique et gardiennes rigides des anciens us. Puis elle choisit une douzaine de vigoureux champions, ses parents et amis ; enfin le vieux chanvreur de la paroisse, homme disert et beau parleur s’il en fut.
Le rĂŽle que joue en Bretagne le bazvalan, le tailleur du village, c’est le broyeur de chanvre ou le cardeur de laine (deux professions souvent rĂ©unies en une seule) qui le remplit dans nos campagnes. Il est de toutes les solennitĂ©s tristes ou gaies, parce qu’il est essentiellement Ă©rudit et beau diseur, et dans ces occasions il a toujours le soin de porter la parole pour accomplir dignement certaines formalitĂ©s, usitĂ©es de temps immĂ©morial. Les professions errantes, qui introduisent l’homme au sein des familles sans lui permettre de se concentrer dans la sienne, sont propres Ă  le rendre bavard, plaisant, conteur et chanteur.
Le broyeur de chanvre est particuliĂšrement sceptique. Lui et un autre fonctionnaire rustique, dont nous parlerons tout Ă  l’heure, le fossoyeur, sont toujours les esprits forts du lieu. Ils ont tant parlĂ© de revenants et ils savent si bien tous les tours dont ces malins esprits sont capables, qu’ils ne les craignent guĂšre. C’est particuliĂšrement la nuit que tous, fossoyeurs, chanvreurs et revenants, exercent leur industrie. C’est aussi la nuit que le chanvreur raconte ses lamentables lĂ©gendes. Qu’on me permette une digression

Quand le chanvre est arrivĂ© Ă  point, c’est-Ă -dire suffisamment trempĂ© dans les eaux courantes et Ă  demi sĂ©chĂ© Ă  la rive, on le rapporte dans la cour des habitations ; on le place debout par petites gerbes qui, avec leurs tiges Ă©cartĂ©es du bas et leurs tĂȘtes liĂ©es en boules, ressemblent dĂ©jĂ  passablement, le soir, Ă  une longue procession de petits fantĂŽmes blancs, plantĂ©s sur leurs jambes grĂȘles et marchant sans bruit le long des murs.
C’est Ă  la fin de septembre, quand les nuits sont encore tiĂšdes, qu’à la pĂąle clartĂ© de la lune on commence Ă  broyer. Dans la journĂ©e, le chanvre a Ă©tĂ© chauffĂ© au four ; on l’en retire, le soir, pour le broyer chaud. On se sert pour cela d’une sorte de chevalet surmontĂ© d’un levier en bois qui, retombant sur des rainures, hache la plante sans la couper. C’est alors qu’on entend la nuit, dans les campagnes, ce bruit sec et saccadĂ© de trois coups frappĂ©s rapidement. Puis, un silence se fait ; c’est le mouvement du bras qui retire la poignĂ©e de chanvre pour la broyer sur une autre partie de sa longueur. Et les trois coups recommencent ; c’est l’autre bras qui agit sur le levier, et toujours ainsi jusqu’à ce que la lune soit voilĂ©e par les premiĂšres lueurs de l’aube. Comme ce travail ne dure que quelques jours dans l’annĂ©e, les chiens ne s’y habituent pas et poussent des hurlements plaintifs vers tous les points de l’horizon.
C’est le temps des bruits insolites et mystĂ©rieux dans la campagne. Les grues Ă©migrantes passent dans des rĂ©gions oĂč, en plein jour, l’Ɠil les distingue Ă  peine. La nuit, on les entend seulement ; et ces voix rauques et gĂ©missantes, perdues dans les nuages, semblent l’appel et l’adieu d’ñmes tourmentĂ©es qui s’efforcent de trouver le chemin du ciel, et qu’une invincible fatalitĂ© force Ă  planer non loin de la terre, autour de la demeure des hommes ; car ces oiseaux voyageurs ont d’étranges incertitudes et de mystĂ©rieuses anxiĂ©tĂ©s dans le cours de leur traversĂ©e aĂ©rienne. Il leur arrive parfois de perdre le vent, lorsque des brises capricieuses se combattent ou se succĂšdent dans les hautes rĂ©gions. Alors on voit, lorsque ces dĂ©routes arrivent durant le jour, le chef de file flotter Ă  l’aventure dans les airs, puis faire volte-face, revenir se placer Ă  la queue de la phalange triangulaire, tandis qu’une savante manƓuvre de ses compagnons les ramĂšne bientĂŽt en bon ordre derriĂšre lui. Souvent, aprĂšs de vains efforts, le guide Ă©puisĂ© renonce Ă  conduire la caravane ; un autre se prĂ©sente, essaie Ă  son tour et cĂšde la place Ă  un troisiĂšme, qui retrouve le courant et engage victorieusement la marche. Mais que de cris, que de reproches, que de remontrances, que de malĂ©dictions sauvages ou de questions inquiĂštes sont Ă©changĂ©s, dans une langue inconnue, entre ces pĂšlerins ailĂ©s !
Dans la nuit sonore, on entend ces clameurs sinistres tournoyer parfois assez longtemps au-dessus des maisons ; et comme on ne peut rien voir, on ressent malgrĂ© soi une sorte de crainte et de malaise sympathique, jusqu’à ce que cette nuĂ©e sanglotante se soit perdue dans l’immensitĂ©.
Il y a d’autres bruits encore qui sont propres Ă  ce moment de l’annĂ©e, et qui se passent principalement dans les vergers. La cueille des fruits n’est pas encore faite, et mille crĂ©pitations inusitĂ©es font ressembler les arbres Ă  des ĂȘtres animĂ©s. Une branche grince, en se courbant sous un poids arrivĂ© tout Ă  coup Ă  son dernier degrĂ© de dĂ©veloppement ; ou bien une pomme se dĂ©tache et tombe Ă  vos pieds avec un son mat sur la terre humide. Alors vous entendez fuir, en frĂŽlant les branches et les herbes, un ĂȘtre que vous ne voyez pas : c’est le chien du paysan, ce rĂŽdeur curieux, inquiet, Ă  la fois insolent et poltron, qui se glisse partout, qui ne dort jamais, qui cherche toujours on ne sait quoi, qui vous Ă©pie, cachĂ© dans les broussailles et prend la fuite au bruit de la pomme tombĂ©e, croyant que vous lui lancez une pierre.
C’est durant ces nuits-lĂ , nuits voilĂ©es et grisĂątres, que le chanvreur raconte ses Ă©tranges aventures de follets et de liĂšvres blancs, d’ñmes en peine et de sorciers transformĂ©s en loups, de sabbat au carrefour et de chouettes prophĂ©tesses au cimetiĂšre. Je me souviens d’avoir passĂ© ainsi les premiĂšres heures de la nuit autour des broyes en mouvement, dont la percussion impitoyable, interrompant le rĂ©cit du chanvreur Ă  l’endroit le plus terrible, nous faisait passer un frisson glacĂ© dans les veines. Et souvent aussi le bonhomme continuait Ă  parler en broyant ; et il y avait quatre Ă  cinq mots perdus : mots effrayants, sans doute, que nous n’osions pas lui faire rĂ©pĂ©ter, et dont l’omission ajoutait un mystĂšre plus affreux aux mystĂšres dĂ©jĂ  si sombres de son histoire. C’est en vain que les servantes nous avertissaient qu’il Ă©tait bien tard pour rester dehors, et que l’heure de dormir Ă©tait depuis longtemps sonnĂ©e pour nous : elles-mĂȘmes mouraient d’envie d’écouter encore ; et avec quelle terreur ensuite nous traversions le hameau pour rentrer chez nous ! comme le porche de l’église nous paraissait profond et l’ombre des vieux arbres Ă©paisse et noire ! Quant au cimetiĂšre, on ne le voyait point ; on fermait les yeux en le cĂŽtoyant.
Mais le chanvreur n’est pas plus que le sacristain adonnĂ© exclusivement au plaisir de faire peur ; il aime Ă  faire rire, il est moqueur et sentimental au besoin, quand il faut chanter l’amour et l’hymĂ©nĂ©e ; c’est lui qui recueille et conserve dans sa mĂ©moire les chansons les plus anciennes et qui les transmet Ă  la postĂ©ritĂ©. C’est donc lui qui est chargĂ©, dans les noces, du personnage que nous allons lui voir jouer Ă  la prĂ©sentation des livrĂ©es de la petite Marie.

II. Les livrées

Quand tout le monde fut rĂ©uni dans la maison, on ferma avec le plus grand soin les portes et les fenĂȘtres ; on alla mĂȘme barricader la lucarne du grenier ; on mit des planches, des trĂ©teaux, des souches et des tables en travers de toutes les issues, comme si on se prĂ©parait Ă  soutenir un siĂšge ; et il se fit, dans cet intĂ©rieur fortifiĂ©, un silence d’attente assez solennel, jusqu’à ce qu’on entendit au loin des chants, des rires et le son des instruments rustiques. C’était la bande de l’épouseur, Germain en tĂȘte, accompagnĂ© de ses plus hardis compagnons, du fossoyeur, des parents, amis et serviteurs, qui formaient un joyeux et solide cortĂšge.
Cependant, Ă  mesure qu’ils approchĂšrent de la maison, ils se ralentirent, se concertĂšrent et firent silence. Les jeunes filles, enfermĂ©es dans le logis, s’étaient mĂ©nagĂ© aux fenĂȘtres de petites fentes, par lesquelles elles les virent arriver et se dĂ©velopper en ordre de bataille. Il tombait une pluie fine et froide, qui ajoutait au piquant de la situation, tandis qu’un grand feu pĂ©tillait dans l’ñtre de la maison. Marie eĂ»t voulu abrĂ©ger les lenteurs inĂ©vitables de ce siĂšge en rĂšgle ; elle n’aimait pas Ă  voir ainsi se morfondre son fiancĂ© mais elle n’avait pas voix au chapitre dans la circonstance, et mĂȘme elle devait partager ostensiblement la mutine cruautĂ© de ses compagnes.
Quand les deux camps furent ainsi en prĂ©sence, une dĂ©charge d’armes Ă  feu, partie du dehors, mit en grande rumeur tous les chiens des environs. Ceux de la maison se prĂ©cipitĂšrent vers la porte en aboyant, croyant qu’il s’agissait d’une attaque rĂ©elle, et les petits enfants que leurs mĂšres s’efforçaient en vain de rassurer, se mirent Ă  pleurer et Ă  trembler. Toute cette scĂšne fut si bien jouĂ©e qu’un Ă©tranger y eĂ»t Ă©tĂ© pris et eĂ»t songĂ© peut-ĂȘtre Ă  se mettre en Ă©tat de dĂ©fense contre une bande de chauffeurs.
Alors le fossoyeur, barde et orateur du fiancĂ©, se plaça devant la porte et, d’une voix lamentable, engagea avec le chanvreur, placĂ© Ă  la lucarne qui Ă©tait situĂ©e au-dessus de la mĂȘme porte, le dialogue suivant :
Le fossoyeur
- HĂ©las ! mes bonnes gens, mes chers paroissiens, pour l’amour de Dieu, ouvrez-moi la porte.
Le chanvreur
- Qui ĂȘtes-vous donc, et pourquoi prenez-vous la licence de nous appeler vos chers paroissiens ? Nous ne vous connaissons pas.
Le fossoyeur
- Nous sommes d’honnĂȘtes gens bien en peine. N’ayez peur de nous, mes amis ! donnez-nous l’hospitalitĂ©. Il tombe du verglas, nos pauvres pieds sont gelĂ©s, et nous revenons de si loin que nos sabots en sont fendus.
Le chanvreur
- Si vos sabots sont fendus, vous pouvez chercher par terre ; vous trouverez bien un brin d’oisil (d’osier) pour faire des arcelets (petites lames de fer en forme d’arcs qu’on place sur les sabots fendus pour les consolider).
Le fossoyeur
- Des arcelets d’oisil, ce n’est guĂšre solide. Vous vous moquez de nous, bonnes gens, et vous feriez mieux de nous ouvrir. On voit luire une belle flamme dans votre logis ; sans doute vous avez mis la broche, et on se rĂ©jouit chez vous le cƓur et le ventre. Ouvrez donc Ă  de pauvres pĂšlerins qui mourront Ă  votre porte si vous ne leur faites merci.
Le chanvreur
- Ah ! ah ! vous ĂȘtes des pĂšlerins ? vous ne nous disiez pas cela. Et de quel pĂšlerinage arrivez-vous, s’il vous plaĂźt !
Le fossoyeur
- Nous vous dirons cela quand vous nous aurez ouvert la porte, car nous venons de si loin que vous ne voudriez pas le croire.
Le chanvreur
- Quelle bĂȘtise nous contez-vous ? Nous ne connaissons pas cette paroisse-lĂ . Nous voyons bien que vous ĂȘtes de mauvaises gens, des brigands, des rien du tout et des menteurs. Allez plus loin chanter vos sornettes ; nous sommes sur nos gardes et vous n’entrerez point cĂ©ans.
Le fossoyeur
- HĂ©las ! mon pauvre homme, ayez pitiĂ© de nous ! Nous ne sommes pas des pĂšlerins, vous l’avez devinĂ© ; mais nous sommes de malheureux braconniers poursuivis par les gardes. MĂȘmement les gendarmes sont aprĂšs nous et, si vous ne nous faites point cacher dans votre fenil, nous allons ĂȘtre pris et conduits en prison.
Le chanvreu...

Table des matiĂšres

  1. Titre
  2. Notice
  3. I. L’auteur au lecteur
  4. II. Le labour
  5. III. Le pĂšre Maurice
  6. IV. Germain le fin laboureur
  7. V. La Guillette
  8. VI. Petit-Pierre
  9. VII. Dans la lande
  10. VIII. Sous les grands chĂȘnes
  11. IX. La priĂšre du soir
  12. X. Malgré le froid
  13. XI. Ă  la belle Ă©toile
  14. XII. La lionne du village
  15. XIII. Le maĂźtre
  16. XIV. La vieille
  17. XV. Le retour Ă  la ferme
  18. XVI. La mĂšre Maurice
  19. XVII. La petite Marie
  20. Appendice
  21. À propos de cette Ă©dition Ă©lectronique