Entre lieux et mémoire
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Entre lieux et mémoire

  1. 372 pages
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Dans Les lieux de mémoire, Pierre Nora affirme que « la mémoire s'enracine dans le concret, l'espace, le geste, l'image et l'objet » (1984, xix). Entre lieux et mémoire adopte une perspective semblable et jette un regard sur les expériences concrètes, géographiquement situées, par lesquelles les francophones du Canada construisent leur identité à partir des réminiscences de leur passé. Ce questionnement est essentiel, car la géographie de la francophonie canadienne évolue rapidement, consolidée au Québec au cours notamment des dernières cinquante années, mais fragilisée dans les milieux les plus dynamiques de la francophonie hors Québec, là où les francophones se confrontent quotidiennement à l'Autre: anglophone, immigrant et allophone. Dans ces lieux consolidés et fluides se tissent les appartenances et les identités de ceux qui les occupent. Les auteurs abordent les lieux de mémoire du Canada français selon trois approches: l'histoire, la géographie et les arts. Tous mettent en évidence que la fondation d'un lieu de mémoire est un acte politique. Enfin, ils montrent qu'une étude des lieux de mémoire, par l'entremise des individus et des groupes qui les instituent, constitue un préalable à la compréhension de l'identité francophone canadienne, dans son unité comme dans sa diversité.

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Informations

LA MÉMOIRE OU LE REGARD HISTORIQUE
Les lieux de mémoire peuvent-ils fortifier les collectivités francophones ?
Patrice GROULX, Université Laval


Dans la société moderne, toute collectivité recherche la plus grande capacité d’autonomie possible. Selon ce postulat, ce projet d’autonomisation (empowerment) est en continuité avec celui de « la modernité inaugurale », c’est-à-dire, comme la définit Jacques Beauchemin, un « projet politique d’émancipation » doublé d’un « projet “éthique” de civilisation du “déchaînement des intérêts particuliers” » (2004 : 41). Prolongeons cette idée. Si effectivement « [l]’existence au sein même d’un même espace social-historique de communautés d’histoire et de mémoire » est constitutive de « l’unité du champ politique » (ibid. : 43), on peut penser que la création de lieux de mémoire est elle aussi indissociable de ce champ. Et si le pluralisme qui dynamise nos sociétés multiplie les foyers de référence identitaire (ibid. : 56), il mine les fondements d’une histoire commune. Les lieux d’une mémoire minoritaire contribuent à cette sape lorsqu’ils contredisent ceux sur lesquels s’arc-boute l’édification de la nation. Toutes les recherches sur la constitution des lieux historiques conviennent que l’élaboration de ces derniers est jalonnée de conflits entre les voix des dominants et celles des dominés.
Il est par ailleurs entendu que l’autonomie d’une collectivité s’exerce à l’intérieur de balises fondées sur des principes et des droits reconnus de tous. Or, la définition de ces principes repose sur des rapports de force sociaux et politiques. Le débat sur la place à donner au principe de l’autonomie nationale au Canada et au Québec a pour enjeu les degrés d’autonomie et de liberté que la société canadienne est prête à se reconnaître, et cette reconnaissance s’appuie à son tour sur des mémoires que cristallisent certains lieux. La « poussée mémorielle » que Pierre Nora constate et déplore, du moins pour la France, à la suite de la publication du grand collectif des Lieux de mémoire, est en partie due à ce qu’il appelle, justement, une « décolonisation de l’histoire ». En d’autres termes, elle tient à « l’émergence rapide de toutes les formes de mémoire de minorités pour qui la récupération-fabrication du passé fait partie intégrante de leur affirmation d’identité », et qui se rattache, dans les pays occidentaux, à une « décolonisation intérieure » (2002 : 27-28). Or, l’autonomisation procède d’une décolonisation. Décoloniser la mémoire, c’est s’affranchir de la rigidité de ses schèmes. Les lieux de mémoire ne sont-ils pas souvent décriés comme des boulets qui entravent la capacité des collectivités à agir sur leur destinée ?
Dans ce court essai, j’aborderai divers aspects de la dialectique entre autonomisation politique et mémoire. Je reviendrai d’abord sur le doublet « devoir de mémoire / lieu de mémoire » pour montrer que le lieu de mémoire est avant tout un concept d’histoire propre à désamorcer la rhétorique du devoir de mémoire. Je proposerai ensuite de replacer l’analyse des lieux de mémoire dans la perspective historique de la constitution d’un champ social de la mémoire. Sous cet éclairage, je réexaminerai la célèbre bataille du Long-Sault, un lieu de mémoire qui a contribué à la structuration de l’autoreprésentation du Canada français pendant une longue période. Enfin, je conclurai sur l’avenir des lieux de mémoire des francophonies par un plaidoyer pour l’encadrement de la mémoire par l’histoire. La préparation de l’avenir d’une collectivité repose en effet sur la lucidité à l’égard du passé, que seule l’histoire, comme discipline scientifique, est en mesure de garantir.
Devoir de mémoire et lieu de mémoire
Le thème du « devoir de mémoire » est omniprésent dans le discours social. Si l’expression est relativement nouvelle dans le vocabulaire, ses fondements idéels remontent aux conceptions et aux rituels universels de la commémoration des morts. Il s’est cristallisé au XIXe siècle sous la forme d’une historiographie commémorative accompagnée de dispositifs sociaux et savants tels que les célébrations de héros et d’événements fondateurs par la littérature, les beaux-arts et l’illustration, l’exhumation des vestiges par l’archéologie, la préservation de monuments historiques et la redécouverte ou l’invention de traditions. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il déborde dans le champ judiciaire et politique en prenant la forme des procès pour crimes contre l’humanité et des politiques du pardon. Comme suite à ce débordement, le devoir de mémoire serait même un « paradigme » nouveau d’envergure mondiale, du moins dans le contexte des politiques du pardon (Labelle, Antonius et Leroux, 2005 : 2).
Ce « devoir » foisonnant interpelle depuis une vingtaine d’années les historiens spécialisés dans l’étude des représentations collectives du passé. Ces derniers s’inquiètent d’une saturation des mémoires, de leur émiettement et de leurs concurrences. Nora estime pour sa part que le danger réside dans le « fétichisme sacralisateur » de la mémoire, qui repousse l’enquête critique (1999 : 348). Philippe Joutard dénonce quant à lui les dérapages de la mémoire, le fait qu’elle devienne à l’occasion le « vecteur des intolérances » (1998 : 98). La mémoire que brandissent les minorités est donc suspecte de menacer la cohésion sociale.
Résumons les mésusages du « devoir de mémoire ». Il y a d’abord, écrit le philosophe Emmanuel Kattan, la « concurrence des victimes », qui découle du fait que dans notre société, le statut de victime « confère des avantages et des droits » (2002 : 70-71). Il y a ensuite, poursuit-il, une « préoccupation exagérée pour le passé [qui] nous détourne parfois des urgences du présent » (ibid. : 71) ; le devoir de mémoire peut alors avoir pour effet de « déplacer l’accent de l’action vers le souvenir » (ibid. : 72), la mémoire fonctionnant comme une « échappatoire ».
« Cette exonération par le devoir de mémoire, enchaîne Kattan, remplit une fonction analogue à celle du monument commémoratif » qui, « investi de tout le poids de la mémoire, nous libère de l’obligation de nous souvenir » (ibid. : 72).
Les débats que suscitent les appels au devoir de mémoire ne sont pas pour autant intrinsèquement problématiques.
Si nous « rejouons » parfois les conflits du passé, rappelle le philosophe, ce n’est peut-être pas tant parce que nous ne pouvons nous en libérer que parce que nous nous efforçons de prendre au sérieux et d’assumer les contradictions de l’histoire récente. Lorsque le passé continue de perturber l’espace du présent, cela signifie qu’il demeure pertinent pour la vie d’une société, que les enjeux qui animent cette dernière continuent d’être investis par la vie du passé. Peut-être alors l’absence de consensus sur la signification du passé est-elle un signe de santé pour une communauté qui, ayant perdu le fil narratif qui l’unissait à l’histoire et à ses ancêtres, met sans cesse en question la transmission de sa mémoire (ibid. : 120).
C’est probablement ce rôle réparateur que Nora attribue à la mémoire lorsqu’il affirme, en conclusion d’une entrevue sur les lieux de mémoire, que « la mémoire n’est aucunement paralysante, mais au contraire profondément libératrice » (1999 : 348). L’historien n’explicite pas son intuition, mais on peut inférer qu’elle découle de la conviction largement répandue que « la liberté passe par la reconnaissance de ce qui nous détermine » (Kattan, 2002 : 118). La liberté résulterait donc de l’effort d’anamnèse, de la poursuite du souvenir dans ses retranchements.
Voici en somme deux possibilités : soit que la mémoire, dans son emploi tyrannique, conduise à l’intolérance, au repli, au communautarisme, soit que, dans son emploi sain, elle procure plus de liberté. C’est cette dernière fonction que préconise l’étude des lieux de mémoire, telle qu’elle a été problématisée par Nora pour tenir tête à la pléthore incontrôlée des discours sur la mémoire et pour éviter un détournement du sens de son entreprise. La conscience de l’histoire et la crainte de la perte des repères patrimoniaux se sont tellement imbriquées dans nos cultures qu’on ne peut plus aborder aujourd’hui la complexité et la richesse sémantique et symbolique du passé sans l’aide de concepts permettant une nouvelle mise à distance des représentations du passé.
Le projet de Nora avait à l’origine pour ambition d’analyser dans quels « lieux » s’est formée, sédimentée et retransformée la mémoire nationale française afin de mieux saisir sa persistance et ses résonances contemporaines. À une étape assez avancée de son entreprise critique – on voit donc que la notion est évolutive –, il propose la définition suivante :
Le lieu de mémoire suppose, d’entrée de jeu, l’enfourchement de deux ordres de réalités : une réalité tangible et saisissable, parfois matérielle, parfois moins, inscrite dans l’espace, le temps, le langage, la tradition, et une réalité purement symbolique, porteuse d’une histoire. […] Ce qui compte pour [l’historien] n’est pas l’identification du lieu, mais le dépli de ce dont ce lieu est la mémoire. Considérer un monument comme un lieu de mémoire n’est nullement se contenter de faire son histoire. Lieu de mémoire, donc : toute unité significative, d’ordre matériel ou idéel, dont la volonté des hommes ou le travail du temps a fait un élément symbolique du patrimoine mémoriel d’une quelconque communauté (1992a : 20).
Défini ainsi, le lieu de mémoire est sûrement le lieu d’une désacralisation. Cette dernière opération est le préalable, pour les membres d’une collectivité, à une prise de décision, comme sujets politiques, sur ce qu’ils veulent classer, ranger ou mettre en valeur dans leur héritage « d’ordre matériel ou idéel ». C’est en ce sens que la « mémoire libère », lorsqu’elle est mise à distance, objectivée puis réappropriée. Ériger des monuments écrits ou sculptés aux morts, rendre hommage aux disparus nous permettent soit de nous délier du regret de leur survivre, soit de nous encourager à dépasser leur oeuvre sans leur porter ombrage. La mise en mémoire nous permet de nous tourner vers le futur sans renoncer à ce qui nous constitue.
On peut penser que les historiens sont les plus sûrs artisans de la désacralisation. En effet, n’abordent-ils pas la mémoire comme des arpenteurs ? Ce territoire qui en impose et fascine par son ampleur, ils le quadrillent avec des instruments de mesure, le découpent et le rendent propre à une colonisation méthodique par la raison, dans un but de compréhension. Pourtant, ils ne sont pas au-dessus de tout soupçon lorsqu’ils opèrent. Leurs pratiques sont contradictoires. Ils alimentent les lieux de mémoire en leur donnant une caution scientifique, quand ils n’en sont pas carrément les inventeurs ; dans un mouvement contraire, ils peuvent en être les plus impitoyables critiques.
Cette ambivalence intrinsèque à l’opération historienne, qui se constitue à l’intérieur de la mémoire et prétend en même temps s’en détacher pour l’objectiver, est à la source du malaise exprimé par Nora. La notion de lieu de mémoire est un outil analytique efficace, puisqu’elle permet de « déplier » les mémoires et, le cas échéant, de désamorcer leur capacité de nuire. Mais à l’extérieur du champ historique, les entrepreneurs mémoriels – issus des champs politique et médiatique, en particulier – ont transformé la notion de « lieu de mémoire » en son contraire : ils proclament l’obligation sociale d’un « devoir de mémoire » dans bien des situations où s’impose d’abord un devoir de compréhension. Le « devoir de mémoire » en est venu à dicter le sens de l’enquête sur le passé. De ce point de vue, on comprend la protestation de Nora contre « l’ère de la commémoration », dont il souhaite qu’un jour « elle sera définitivement close », et en concluant dans ces termes l’ouvrage monumental qu’il a dirigé : « La tyrannie de la mémoire n’aura duré qu’un temps – mais c’était le nôtre » (1992b : 1012).
La mémoire comme « champ »
De quels moyens disposons-nous pour saisir l’imbrication de l’histoire et de la mémoire dans la dynamique des lieux de mémoire ? Nous devons en premier lieu départager l’histoire et la mémoire : il ne s’agit pas d’une seule et même réalité, mais de deux formes de représentation du passé qui se situent aux deux extrémités d’un spectre où elles sont liées l’une à l’autre par une gradation infinie de nuances. C’est cette gradation qui donne au passé une texture à première vue si mouvante et si complexe qu’elle défie l’analyse scientifique.
Dans leurs fondements mêmes, la mémoire est avant tout un phénomène psychique individuel, et l’histoire, une procédure savante socialement construite. Les deux rendent compte du passé : à la mémoire comme à l’histoire « se pose l’énigme de la représentation du passé », mais en vertu d’ambitions irréductibles, puisqu’à « la fidélité espérée de la mémoire répond l’ambition de la vérité de l’histoire » (Macron, 2000 : 22). Il y a eu brouillage entre les deux dès qu’on a commencé à généraliser la notion de « mémoire collective » dans les années 1950, puis lorsqu’on a commencé à opposer la mémoire des exclus à l’histoire des vainqueurs dans les...

Table des matières

  1. Page couverture
  2. Page titre
  3. Page de droit d'auteur
  4. Table des matières
  5. INTRODUCTION
  6. LA MÉMOIRE OU LE REGARD HISTORIQUE
  7. LE LIEU OU LE REGARD GÉOGRAPHIQUE
  8. LA MISE EN RÉCIT PAR LES ARTS ET LES LETTRES