Tableau d'avancement
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Tableau d'avancement

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À propos de ce livre

Ce tableau d'avancement examine le Canada français de la derniÚre moitié du XXe siÚcle et propose quelques repÚres utiles, souligne certains enlisements, avancées et retards, et cherche à comprendre son évolution malaisée à travers trois grandes perspectives: celle de chefs politiques qui l'ont orienté, celle d'intellectuels influents qui l'ont interprété, et celle de certaines institutions qui en ont révélé la dynamique. Le fil rouge qui lie ces vignettes et sert de fil conducteur est l'ombre de la Révolution tranquille qui a brouillé la vue de bien des observateurs. L'auteur est d'accord avec Gilles Vigneault quand il dit « Nous avons mal regardé. Nous avons mal écouté ». Il propose ici une autre maniÚre de voir, une autre forme d'écoute.

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Informations

PARTIE I
Anamorphoses politiques

Anamorphoses politiques

Cette premiĂšre partie de l’ouvrage examine l’évolution du Canada français par le biais de l’expĂ©rience de quelques premiers ministres du QuĂ©bec. L’objectif n’est ni de les cĂ©lĂ©brer ni de les abominer, mais d’identifier dans leur pĂ©riode au pouvoir certains moments privilĂ©giĂ©s, des grands ajustements Ă  l’évolution du contexte mondial, et les forces qui les sous-tendent.
Pour ces hommes d’action, tout se passe en temps rĂ©el.
Maurice Duplessis, le tandem Lesage-LĂ©vesque, Daniel Johnson et Robert Bourassa vivent des expĂ©riences diffĂ©rentes : ils Ă©voluent dans des contextes Ă©conomiques florissant, effervescent, ombrageux et difficile respectivement ; dans des mondes sociopolitiques contrastĂ©s aussi : prospĂ©ritĂ© en contexte stable, Ă©tatisme triomphant, puis essoufflement et tensions sociales en fin de pĂ©riode. Dans le cas de Robert Bourassa, qui reviendra au pouvoir dans les annĂ©es 80, il vivra dans ses divers mandats des conditions difficiles mais trĂšs diffĂ©rentes. Chacun va dĂ©velopper une stratĂ©gie selon son esprit au sein d’environnements bien diversement caractĂ©risĂ©s.
Dans le cas de Duplessis, ce qui frappe est le double contraste entre les faits et les perceptions, et entre son rĂšgne et la pĂ©riode qui a suivi : Pourquoi cet Ă©cart entre une performance Ă©conomique relativement forte et les Ă©tiquettes de « grande noirceur » ? Pourquoi cette unanimitĂ© Ă  condamner des annĂ©es 50 florissantes et Ă  cĂ©lĂ©brer des annĂ©es 60 aux succĂšs douteux ? Et se pourrait-il qu’on ait mal regardĂ© et mal compris ?
L’exubĂ©rance des annĂ©es 60 est bien saisie par l’épopĂ©e d’Hydro-QuĂ©bec : l’État propulsif entre en scĂšne par effraction. C’est l’époque des grands projets et des grandes rĂ©formes. On voit les avantages de ces actions Ă  court terme, mais on ne voit pas toujours les impacts Ă  plus long terme de la nouvelle logique bureaucratique enclenchĂ©e. MĂȘme si notre attention sera ici retenue par une seule de ces initiatives — la plus cĂ©lĂ©brĂ©e —, elle a valeur exemplaire, et sert bien de rĂ©vĂ©lateur de ce qui a Ă©tĂ© le tonus de cette pĂ©riode.
Daniel Johnson hĂ©rite d’une socio-Ă©conomie essoufflĂ©e et diffractĂ©e. Il sera fort peu de temps au pouvoir, mais Ă©laborera les fondements d’une troisiĂšme voie entre l’Etat propulsif et l’Etat minimal.
Quant au rĂ©gime Bourassa (en deux Ă©tapes dans les annĂ©es 70 et dans les annĂ©es 80), il va se dĂ©finir de maniĂšre bien diffĂ©rente dans chacun de ces segments, surtout parce que les contextes de crise vont grandement diffĂ©rer. Bourassa I demeurera obnubilĂ© par l’État levier et les grands projets dans la foulĂ©e des annĂ©es 60, sans pourtant rĂ©vĂ©ler la conviction profonde qu’on peut procĂ©der ainsi sur tous les fronts ; Bourassa II fera montre de la mĂȘme hĂ©sitation face aux coups de barre Ă  donner pour assainir les finances publiques aprĂšs des dĂ©cennies d’orgie fiscale.

CHAPITRE 1
Maurice Duplessis et la croissance Ă©conomique

« Nous avons mal regardé. Nous avons mal écouté ».
—Gilles Vigneault
Il y a une contradiction Ă©trange dans les travaux sur la pĂ©riode Duplessis, entre le jugement trĂšs sĂ©vĂšre qu’a portĂ© toute une gĂ©nĂ©ration de spĂ©cialistes de sciences humaines du QuĂ©bec sur cette Ăšre de « grande noirceur », et l’accord presque unanime sur le fait que le QuĂ©bec a suivi un sentier de croissance Ă©conomique tout Ă  fait comparable Ă  celui des autres rĂ©gions du continent nord-amĂ©ricain au cours de cette pĂ©riode. Des douzaines d’ouvrages ont accusĂ© Duplessis et le duplessisme d’avoir « retardĂ© » le dĂ©veloppement Ă©conomique du QuĂ©bec, alors que le taux de croissance de la production est Ă  peu prĂšs le mĂȘme au QuĂ©bec et en Ontario entre 1870 et la fin des annĂ©es 50 (Raynauld, 1961).
Un autre contraste tout aussi surprenant est celui qui existe entre la reprĂ©sentation triomphante de la RĂ©volution tranquille et la dĂ©tĂ©rioration relative de la situation Ă©conomique du QuĂ©bec qui a commencĂ© Ă  la fin des annĂ©es 60 et s’est accentuĂ©e au fil des dĂ©cennies aprĂšs.
Se pourrait-il donc que l’on ait Ă©tĂ© indĂ»ment sĂ©vĂšre Ă  l’endroit du rĂ©gime Duplessis et trop complaisant pour le rĂ©gime Lesage qui a suivi aprĂšs un court intĂ©rim ?
L’historiographie rĂ©cente a commencĂ© Ă  prĂ©senter une version moins manichĂ©enne de l’expĂ©rience quĂ©bĂ©coise de l’aprĂšs-Seconde Guerre mondiale (Couture, 1991 ; Dion, 1993 ; Bourque et al., 1994). On n’en est donc plus Ă  devoir rescaper Duplessis ou dĂ©classer Lesage. Le temps est plutĂŽt aux explications.
Pourquoi, malgré ses faiblesses, est-ce que la stratégie Duplessis a bien fonctionné ? et pourquoi, malgré ses promesses, est-ce que la stratégie Lesage a mal tourné ?
Nous tenterons d’abord (1) de mettre au dossier quelques constats sur lesquels l’accord semble ĂȘtre fait, avant (2) de suggĂ©rer une hypothĂšse qui pourrait expliquer ces observations ; ensuite, nous tenterons (3) de montrer d’une maniĂšre prĂ©liminaire que cette hypothĂšse est plausible avant de l’étayer, d’une maniĂšre indirecte et oblique, en faisant appel Ă  certaines mesures de dĂ©capitalisation sociale dans la pĂ©riode plus rĂ©cente qui pourraient expliquer certains Ă©checs ultĂ©rieurs.

Les faits stylisés

A. Il est trĂšs difficile de trouver un point d’inflexion autour de 1960 dans le sentier de croissance du produit intĂ©rieur brut en termes rĂ©els du QuĂ©bec exprimĂ© en Ă©chelle semi-logarithmique. Entre 1945 et 1974, le taux de croissance quĂ©bĂ©cois est un peu au-dessous des 5 % l’an avec des signes de ralentissement dans la fin des annĂ©es 60. Dans les quinze annĂ©es qui vont suivre, le taux de croissance tombe presque de moitiĂ©, avant de s’aplatir encore et de frĂŽler le zĂ©ro au tournant des annĂ©es 90.
Non seulement le taux de croissance ralentit dans l’aprĂšs-RĂ©volution tranquille, mais il a chutĂ© beaucoup plus rapidement qu’en Ontario. De plus, il y a eu chute dramatique dans les annĂ©es 60 de l’investissement privĂ© per capita au QuĂ©bec par rapport Ă  ce qui se passait en Ontario. En fait, la productivitĂ© de l’économie canadienne dans son ensemble (dont l’Ontario et le QuĂ©bec constituent la trĂšs grande part) a Ă©tĂ© dans le peloton de queue des pays de l’Organisation de coopĂ©ration et de dĂ©veloppement Ă©conomiques (OCDE). Sur les 24 pays de l’OCDE, le Canada est classĂ© au 22e rang quant Ă  la croissance de la productivitĂ© entre 1960 et 1990.
B. Ces indicateurs macroscopiques peuvent ĂȘtre trompeurs. DĂ©jĂ , dans les annĂ©es 40, le QuĂ©bec Ă©tait un espace Ă©conomique morcelĂ© ; les diffĂ©rences se sont creusĂ©es encore aprĂšs (Paquet, 1984, 1991). Dans les annĂ©es 50, entre MontrĂ©al et les rĂ©gions, on note des diffĂ©rences de revenu par personne de l’ordre de 20 % Ă  40 %; l’écart entre les revenus annuels moyens des travailleurs unilingues francophones et anglophones frise les 30 % ; 40 % de l’industrie quĂ©bĂ©coise est sous contrĂŽle Ă©tranger et un autre 40 % sous contrĂŽle anglo-canadien. On continue Ă  avoir un QuĂ©bec Ă  plusieurs vitesses : MontrĂ©al avec un niveau de vie qui se rapproche de celui de l’Ontario, ensuite, pour certains MontrĂ©alais, un niveau de vie luxueux, puis le reste de la province avec un niveau de vie qui se rapproche de celui des provinces de l’Atlantique (Parenteau, 1956).
A partir du milieu des annĂ©es 60, on va commencer Ă  reconnaĂźtre pleinement que l’espace Ă©conomique quĂ©bĂ©cois n’est pensable que par morceaux. Le dĂ©bat sur le dĂ©clin Ă©conomique de MontrĂ©al, dont on parlera beaucoup Ă  l’époque Johnson, va exhausser la vision d’un QuĂ©bec fracturĂ© : chaque portion donnant voix Ă  son malaise et Ă  sa colĂšre. Ce qui plus est, il y a un important dĂ©cin des solidaritĂ©s. En bout de piste, dans L’ActualitĂ© (LisĂ©e, 1992), le portrait qu’on fait du QuĂ©bec francophone est saisissant : le QuĂ©bec est au sommet de la pyramide de la postmodernitĂ©.
C. Il y a dĂ©rive sur le terrain des rĂ©alitĂ©s mais aussi dans le thĂ©Ăątre des reprĂ©sentations et du discours. Les travaux importants de Bourque et Duchastel ont rĂ©vĂ©lĂ© une sociĂ©tĂ© libĂ©rale des annĂ©es 50 qui avait clairement conscience de ses fondements et de sa dĂ©rive. Mais ils ont aussi montrĂ© les particularismes qui dĂ©finissent l’identitĂ© quĂ©bĂ©coise fragmentĂ©e (Bourque et Duchastel, 1996).
Ces travaux ont rĂ©vĂ©lĂ© que la pĂ©riode des annĂ©es 50 a Ă©tĂ© non seulement moins statique qu’on l’avait supposĂ©, mais encore que le gouvernement Duplessis avait une stratĂ©gie claire et nette d’un État libĂ©ral.
Choisissant dĂ©libĂ©rĂ©ment d’agir en complĂ©mentaritĂ© avec l’État interventionniste keynĂ©sien, qui est la norme au Canada aprĂšs 1945 et au QuĂ©bec aprĂšs 1960, cet État libĂ©ral quĂ©bĂ©cois d’avant 1960 peut ĂȘtre assimilĂ© Ă  un laisser-faire nonchalant construit sur une reprĂ©sentation tronquĂ©e de la rĂ©alitĂ©. C’est pourtant faux. Plus plausiblement, on peut suggĂ©rer qu’il s’agit plutĂŽt d’une stratĂ©gie d’État prudent, d’État stratĂšge, qui se dĂ©finit en complĂ©mentaritĂ© avec les actions du monde des affaires et de l’État fĂ©dĂ©ral.
On compte explicitement sur le monde des affaires pour servir de moteur Ă  l’économie et sur l’État fĂ©dĂ©ral pour dĂ©finir et soutenir les grands pans de l’intervention keynĂ©sienne aux plans Ă©conomique et social. L’État quĂ©bĂ©cois se donne seulement un rĂŽle de modulation et introduit le cas Ă©chĂ©ant bĂ©mols et diĂšses dans les grands dossiers. Mais il intervient directement et fermement pour dynamiser les zones oubliĂ©es (sous-rĂ©gions, zones agricoles, zones pĂ©riphĂ©riques) quand il s’avĂšre que l’intervention est nĂ©cessaire. La position de Daniel Johnson sera d’ailleurs en continuitĂ© complĂšte avec celle de Duplessis.

Explication

L’économie quĂ©bĂ©coise est une petite Ă©conomie ouverte, dĂ©pendante et balkanisĂ©e. La trajectoire de sa croissance Ă©conomique, tant avant 1960 qu’aprĂšs, dĂ©pend largement de facteurs exogĂšnes. Les mĂȘmes facteurs (comme le rapport Paley aux États-Unis et l’investissement direct dans l’exploitation des ressources naturelles canadiennes qui a suivi) ont eu des impacts parallĂšles sur l’Ontario et le QuĂ©bec dans les annĂ©es 50. De mĂȘme, les chocs pĂ©troliers des annĂ©es 70 ont aussi eu des impacts connexes sur ces deux Ă©conomies.
Cependant, une portion des différentiels de croissance entre les deux régions est attribuable aussi à certains aléas géotechniques qui peuvent servir mieux ou moins bien une économie régionale dans des temps donnés, et à certaines différences dans les institutions.
Ainsi, le meilleur accĂšs au charbon pour l’Ontario, dans la premiĂšre rĂ©volution industrielle (fondĂ©e sur le charbon et l’acier) avant la Seconde Guerre mondiale, et l’accĂšs Ă  l’hydro-Ă©lectricitĂ© Ă  meilleur compte pour le QuĂ©bec, dans la seconde vague d’industrialisation (basĂ©e sur les mĂ©taux non ferreux et l’électricitĂ©), expliquent une bonne partie des Ă©carts de croissance (Faucher, 1970 ; Armstrong, 1984).
Sans un inventaire complet de ces facteurs exogĂšnes, il est Ă©videmment aventureux de prĂ©sumer qu’il reste un diffĂ©rentiel inexpliquĂ© attribuable aux diffĂ©rences dans les institutions. Cependant, il apparaĂźt raisonnable de suggĂ©rer que les grands paramĂštres exogĂšnes ou gĂ©otechniques n’expliquent pas tout.
Les travaux rĂ©cents sur la croissance Ă©conomique (toutes tendances idĂ©ologiques et thĂ©oriques confondues) semblent converger pour souligner l’importance explicatrice des institutions, du capital social et des politiques gouvernementales (Fukuyama, 1995 ; The Economist, 1996 ; Olson, 1996 ; Paquet, 1996). C’est sous cette rubrique gĂ©nĂ©rale que certains ont inscrit le facteur Duplessis comme Ă©tant Ă  la source du retard de l’économie quĂ©bĂ©coise.
Or, d’une part, le parallĂ©lisme entre la performance du QuĂ©bec et celle de l’Ontario pour la pĂ©riode Duplessis fait que le rĂ©sidu de performance relative nĂ©gative qui serait attribuable aux mĂ©faits de Duplessis et du duplessisme est difficile Ă  dĂ©tecter. En fait, il se pourrait bien qu’il s’agisse d’un ĂȘtre de raison. D’autre part, les difficultĂ©s relatives de l’économie quĂ©bĂ©coise de l’aprĂšs-RĂ©volution tranquille, qui, elles, sont assez faciles Ă  dĂ©tecter, sont tout aussi troublantes, en ce sens que le rĂ©gime Lesage, auquel on a attribuĂ© toutes sortes d’effets bĂ©nĂ©fiques, est aussi un facteur liĂ© aux institutions, au capital social et aux politiques gouvernementales qui s’est traduit par un effet de ralentissement Ă©conomique.
Notre hypothĂšse suggĂšre qu’on peut expliquer une portion des succĂšs d’avant 1960 et des dĂ©boires d’aprĂšs 1960 en faisant appel Ă  la notion de capital social.
On ne reconnaĂźt pas toujours l’importance du capital social Ă  la Coleman (1988) dans l’explication de la croissance Ă©conomique. Il s’agit d’un concept qui est prĂ©sentĂ© en parallĂšle avec les notions de capital physique, capital financier et capital humain, comme incarnĂ© dans un ensemble de relations sociales qui facilitent l’interaction des personnes et des autres acteurs socio-Ă©conomiques et donc la crĂ©ation de valeur ajoutĂ©e. Ce capital associatif est construit sur l’importance des obligations rĂ©ciproques et des rĂ©seaux, qui sont d’une importance centrale dans la production de la confiance, la concrĂ©tisation des anticipations et la gĂ©nĂ©ration de normes et valeurs susceptibles de rĂ©soudre les problĂšmes associĂ©s Ă  la sous-production de biens collectifs, qui nĂ©cessite une certaine coopĂ©ration.
Ce capital social Ă©merge de la structure sociale et donc va fleurir dans les processus de socialisation — la famille, l’école, la communautĂ© —, mais il s’incarne aussi dans un ensemble de normes, de conventions, etc., qui dĂ©finissent le tissu associatif de la sociĂ©tĂ©.
Les travaux de Banfield, Hirsch, Granovetter et de Putnam ont montrĂ© Ă  l’évidence que le capital communautaire sert de point d’ancrage et de support pour l’économie, et que l’absence de ce capital communautaire est Ă  la source de nombreuses difficultĂ©s Ă©conomiques (Banfield, 1958 ; Hirsch, 1976 ; Granovetter, 1985 ; Putnam, 1993).
Il s’agit d’ailleurs de propositions qui, comme le rappelle Hirsch (1976 : 137), Ă©taient dĂ©jĂ  soulignĂ©es par Adam Smith au 18e siĂšcle. L’enracinement communautaire traditionnel, loin d’ĂȘtre nĂ©cessairement un handicap, sert Ă  garder sous contrĂŽle les dĂ©lires du libĂ©ralisme sauvage, et est Ă  l’origine de « la contrainte innĂ©e issue de la morale, de la religion, de l’usage et de l’éducation1» (Smith).
L’obstination Ă  prĂ©senter le bagage institutionnel et culturel traditionnel des QuĂ©bĂ©cois et des Canadiens français comme une source de ralentissement Ă©conomique, et Ă  conclure que le dĂ©lestage de ces institutions a constituĂ© un progrĂšs vers la modernitĂ© pourrait donc bien ĂȘtre mal inspirĂ©e. Il se pourrait que ce soit seulement un dĂ©rapage vers une absolutisation malheureuse du marchĂ© et de l’état (Durocher et Linteau, 1971) alors que le capital communautaire traditionnel des QuĂ©bĂ©cois pourrait les avoir bien servis (Paquet 1980-1981, 1989c).
Une meilleure apprĂ©ciation de l’importance du capital communautaire comme soubassement de l’appareil Ă©conomique pourrait donc aider Ă  rĂ©soudre les paradoxes soulevĂ©s d’entrĂ©e de jeu dans ce texte. Il est en effet possible (1) que ce soubassement ait pu contribuer de maniĂšre importante Ă  la croissance Ă©conomique dans la pĂ©riode Duplessis et (2) que l’érosion et la dilapidation du capital communautaire perpĂ©trĂ©es par la RĂ©volution tranquille (dans ses ardeurs pour liquider tout l’acquis construit autour des pĂŽles que sont la famille, la communautĂ© et la religion) aient pu jouer un rĂŽle nĂ©gatif en affaiblissant les communautĂ©s d’action et de signification dans le rĂ©gime en place, l’économie et la sociĂ©tĂ© quĂ©bĂ©coises.

Plausibilité

Il est fort difficile de calibrer quantitativement l’importance du capital social sur la croissance Ă©conomique et celle de l’érosion du capital social comme source des difficultĂ©s Ă©conomiques. Putnam a fait une Ă©tude longitudinale du cas italien sur des dĂ©cennies et n’a pas convaincu tout le monde. Ses travaux sur la dĂ©capitalisation sociale rĂ©cente aux États-Unis ne font pas l’unanimitĂ© non plus (Putnam, 1995, 1996).
Dans le cas du QuĂ©bec, il ne fait aucun doute que la sociĂ©tĂ© civile quĂ©bĂ©coise Ă©tait tricotĂ©e plus serrĂ©e autrefois qu’elle ne l’est maintenant. L’État, prenant tellement plus de place au moment de la RĂ©volution tranquille, a dĂ©placĂ© l’ordre institutionnel antĂ©rieur. Il est toutefois difficile de faire la dĂ©monstration de l’importance relative de facteurs comme la disparition de la famille et de la religion en tant que supports du capital social dans l’explication du ralentissement Ă©conomique.
Dans les analyses des annĂ©es 50 Ă  la Trudeau, tout cet appareil d’institutions traditionnelles est dĂ©criĂ© et dĂ©considĂ©rĂ© systĂ©matiquement (Trudeau, 1956). Il en est de mĂȘme de la PME : on mesure notre taille Ă©conomique Ă  la seule participation Ă  la grande entreprise et on nĂ©glige la vie Ă©conomique qui grouille au ras du sol. Cet aveuglement empĂȘche de reconnaĂźtre Ă  cet ordre institutionnel sa dynamique propre et son coefficient porteur de croissance Ă©conomique.
De plus, l’État modeste et libĂ©ral, qui laisse place Ă  la sociĂ©tĂ© civile, ne craint pas de s’associer au monde des affaires Ă  l’ùre Duplessis. Si on dĂ©nonce facilement et avec raison les excĂšs auxquels ces rapports ont pu donner lieu, on ne reconnaĂźt pas le caractĂšre crĂ©ateur de ces rapports de collaboration gouvernement-entreprise. D’autres, tout en admettant l’importance de la jonction entre le gouvernement Duplessis et le monde des affaires quĂ©bĂ©cois, sous-estiment considĂ©rablement son impact et son support pour le capital francophone, surtout celui qui se trouve en rĂ©gion. C’est que ce capital excentrique et financiĂšrement vulnĂ©rable est systĂ©matiquement dĂ©considĂ©rĂ© par rapport au grand capital : il suffit de dire que les firmes quĂ©bĂ©coises sont de taille infĂ©rieure...

Table des matiĂšres

  1. Page couverture
  2. Page titre
  3. Copyright
  4. Table des matiĂšres
  5. Préface
  6. Introduction Le Canada français dans sa culture
  7. Partie 1 : Anamorphoses politiques
  8. Partie 2 : Anamorphoses intellectuelles
  9. Partie 3 : Institutionnellement parlant
  10. Conclusion Un lien social moderne Ă  reconstruire
  11. Sources
  12. Liste de références
  13. Notes