CHAPITRE 1
La rédaction universitaire : de quoi s’agit-il et qu’est-ce qui en fait la qualité ?
Contenu :
- Ce que la rédaction universitaire n’est pas
- La différence entre les essais narratifs, descriptifs et universitaires
- Les qualités d’un bon essai persuasif
- Déterminer les qualités d’un essai persuasif
- Citations et présentation
Mots-clés :
- Rédaction universitaire
- Essai narratif
- Essai descriptif
- Essai universitaire
- Preuve primaire
- Recherche secondaire
- Note de fin de texte
- Note de bas de page
- Nom et numéro(s) de page(s) (dans le texte)
- Nom et date (dans le texte)
Tableaux :
Tableau 1.1 : Citations et présentation
Tableau 1.2 : Style The Chicago Manual of Style, notes de bas de page
Tableau 1.3 : Style The Chicago Manual of Style, notes de fin de texte
Tableau 1.4 : Style Council of Science Editors (CSE), référence selon le numéro de séquence
Tableau 1.5 : Style Modern Language Association (MLA), nom et numéro(s) de page(s) (dans le texte)
Tableau 1.6 : Style American Psychological Association (APA), nom et date (dans le texte)
Ce chapitre a deux objectifs. D’abord, il consiste à mettre en lumière les différences entre rédaction universitaire et non universitaire. Ensuite, il s’agit de décrire et de donner des exemples des caractéristiques-clés d’un bon travail universitaire.
I. Ce que la rédaction universitaire n’est pas
Bien que nous reconnaissions l’existence et la légitimité des travaux de rédaction non traditionnels et des méthodes d’évaluation non conventionnelles dans les collèges de défense et ailleurs, aux fins de ce livre, la rédaction universitaire désigne spécifiquement la rédaction d’essais de recherche (nous aborderons les autres formes de rédaction brièvement dans le chapitre 7). Ce genre de rédaction est sensiblement différent du travail d’état-major typique, de la rédaction de discours, du journalisme d’enquête ou d’autres formes d’expression artistique et intellectuelle.
De manière générale, il existe trois types d’essais : l’essai narratif, l’essai descriptif et l’essai persuasif. Seul ce dernier peut être considéré comme un travail universitaire. Un essai narratif vise à raconter une histoire. L’un des principaux analystes de l’histoire de la politique étrangère du Canada, Albert Legault, commence son histoire de la diplomatie canadienne entre 1945 et 1985 ainsi :
À partir de 1945, le Canada se dote, et cela très rapidement, d’un « système de politique étrangère » qui complète le processus de « state-building » amorcé au XIXe siècle. Tant au niveau des champs d’intervention dans les affaires internationales que des modes de participation à la vie internationale, des mécanismes de gestion, des ressources déployées, de l’élaboration d’une pensée internationale, des instruments d’influence et de la mobilisation sociale, le système politique canadien connaît une expansion qui, plus que tout autre aspect de son développement antérieur, contribue à définir son identité. C’est là une incontestable réussite. Les Canadiens, davantage absorbés par leurs conflits internes, ou plus étroitement identifiés à leur région immédiate, sont rarement conscients de l’importance de la politique étrangère dans la consolidation et l’unification de leur système politique au cours des 40 années qui se sont écoulées de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la fin de l’ère Trudeau. C’est cette dimension du développement politique canadien que cet ouvrage cherche à analyser1.
À noter ici que l’objectif principal de Legault est de présenter l’histoire d’une période plutôt que de cataloguer une série de réalisations de politique étrangère canadienne ou de développer un argument général sur l’évaluation de l’impact des actions canadiennes sur la scène internationale.
Un essai descriptif est essentiellement narratif. Son objectif est d’exposer ou de « décrire » dans le détail une question ou une idée sans nécessairement exprimer une opinion à son égard. Considérons, à ce propos, l’objectif du texte du lieutenant-général George Macdonald sur le programme national de défense antimissile (National Missile Defense ou NMD) :
Cet article analyse les différentes questions relatives au NMD d’une façon qui se veut logique et compréhensible pour les personnes peu familiarisées avec ce sujet. Bien que la nature finale du programme américain n’ait pas encore été déterminée, il importe que les Canadiens comprennent les conséquences de sa mise en œuvre et ses implications pour le partenariat de défense du pays. Seule une bonne compréhension de la question permettra de fournir une réponse bien informée au sujet du NMD, et cette réponse devra correspondre aux intérêts nationaux du Canada2.
Ici, Macdonald ne se contente pas de raconter l’histoire du débat sur la défense antimissile, pas plus qu’il ne tente de convaincre ses lecteurs ou de porter un jugement sur la politique canadienne dans ce domaine. Son objectif est davantage de cataloguer des problèmes et idées pertinents pour une évaluation réaliste du bien-fondé de la défense antimissile.
À la différence des essais narratifs et descriptifs, les essais universitaires sont explicitement et délibérément de type persuasif. Les auteurs d’essais persuasifs s’efforcent de convaincre leurs lecteurs d’adhérer à leur opinion sur une question précise. Ces essais prennent en compte un certain nombre d’idées susceptibles de donner raison à leur auteur et à l’argument qu’ils défendent. Par conséquent, lorsque l’on vous demande d’écrire un essai de recherche, on vous met au défi de développer un argument englobant et persuasif. Le colonel Pierre Lessard, officier des Forces canadiennes, écrivait : « y a-t-il un fossé entre la stratégie et l’art opérationnel, et, si oui, est-il accru par une conception inadéquate de la campagne ? La thèse de cet article est que c’est le cas3 ». L’opinion de l’auteur est on ne peut plus explicite. Le reste du texte consiste à démontrer que ce fossé existe et pourquoi il existe.
II. Les caractéristiques d’un bon essai persuasif
Un bon essai persuasif doit répondre à une question importante de manière efficace. C’est un essai rédigé avec clarté, cohérence et dans un style direct. Il est accessible à ses destinataires. Il repose sur une bonne recherche et une bonne documentation. Il est présenté d’une manière professionnelle. C’est ainsi qu’un essai pourra participer au « dialogue » sur un sujet d’importance.
Pourquoi original ? Parce que les lecteurs ont mieux à faire que de lire quelque chose qu’ils ont déjà lu ailleurs. Les essais originaux ajoutent à notre compréhension d’une idée ou d’une question en augmentant la quantité de nouvelles connaissances et la qualité du raisonnement sur un sujet. Lorsque l’on s’engage dans ce type de rédaction, il est essentiel d’accepter qu’il puisse ne pas y avoir de « réponse ultime » à la question de recherche. Il peut également y avoir plus d’une seule façon d’arriver à une conclusion plausible.
La rédaction universitaire exige que le meilleur argument soit présenté en fonction des preuves à l’appui. Dans ce contexte, il est possible, et même souvent probable que de nouvelles preuves n’ayant pas encore été divulguées puissent à terme faire apparaître des faiblesses dans vos arguments, nouvelles preuves que, naturellement, vous ne pouviez anticiper. Lorsque l’officier d’infanterie à la retraite John A. English a publié The Canadian Army and the Normandy Campaign, il n’a pas condamné les analyses précédentes qui avaient été réalisées sur la contribution militaire à la Deuxième Guerre mondiale. L’idée selon laquelle les difficultés rencontrées par l’armée canadienne en Normandie ont été causées par l’inexpérience (particulièrement en face des forces allemandes aguerries) semblait plausible, car elle était basée sur l’information disponible aux historiens à l’époque où elle a été élaborée. Cependant, en ayant accès à des correspondances inédites, telles les lettres échangées entre le Field Marshall Sir Bernard Montgomery et le lieutenant-général H. D. G. Crerar, John English a pu conclure que la performance du Canada en Normandie avait été causée par des erreurs au niveau du haut commandement militaire4.
Lorsqu’on évalue un essai persuasif (que ce soit pour donner une note dans une institution universitaire ou en vue d’une publication), on mesure généralement l’efficacité du texte en fonction de trois critères :
a) L’argument
L’attention principale ici est portée sur la qualité, la rigueur et la validité de la thèse défendue. Plus spécifiquement, un bon texte doit établir une question de recherche claire à laquelle l’auteur va s’efforcer de répondre de manière convaincante. Le livre d’English, note son auteur, est destiné à « expliquer les opérations de l’armée canadienne en Normandie durant la Seconde Guerre mondiale en fonction de l’organisation, de l’entraînement, et des méthodes de combat développées avant l’entrée en combat ». Une fois qu’il a ajouté la phrase, « il sera démontré que des déficiences au niveau du commandement ont sérieusement affecté les performances de combat des forces canadiennes », il ne reste plus de doute au sujet des intentions du livre5.
En plus d’être limpide, la question de recherche doit être pertinente pour le lectorat auquel le texte s’adresse. Un essai rédigé dans un collège de défense, par exemple, doit aborder des thèmes qui correspondent au contenu d’un programme ou d’un curriculum particulier. Un article destiné à une revue universitaire devrait traiter d’un sujet susceptible d’intéresser les lecteurs de la revue. L’article du colonel Lessard sur la conception de campagne et l’art opérationnel a été publié dans Parameters, la revue professionnelle de l’école de guerre de l’armée américaine. Étant donné que le curriculum inclut des modules sur la conception de campagne et l’art opérationnel, l’article de Lessard est non seulement pertinent pour le lectorat de la revue, mais aussi pour les étudiants de l’institution militaire.
Outre sa pertinence, une question de recherche est jugée bonne s’il est possible d’y répondre dans les limites de longueur assignées pour l’exercice. Autrement dit, s’interroger sur la question de savoir si la participation du Canada à la guerre contre la terreur constitue un bon usage des Forces canadiennes est sans doute trop ambitieux pour un essai de 2000 mots. Par ailleurs, une évaluation de la conception de la campagne initiale de l’armée canadienne en vue d’une participation à la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) en Afghanistan ne mérite peut-être pas d’être développée sous la forme d’une monographie.
En admettant que la question de recherche soit pertinente, les réviseurs s’attacheront à déterminer si la réponse proposée est convaincante. Pour l’être, la thèse doit habituellement être présentée sous la forme d’un énoncé. Il y a deux façons de le faire. Un énoncé de thèse explicite est la manière la plus directe. Il commence généralement par des mots comme « Ce texte vise à démontrer que… ». L’article du colonel Lessard aurait très bien pu commencer par : « Ce document cherche à démontrer qu’il y a un fossé entre la stratégie et l’art opérationnel qui, par ailleurs, est aggravé par une conception de campagne inadaptée ». Les militaires qui s’initient à la rédaction universitaire ou qui y retournent après une longue période d’absence et qui s’inquiéteraient de la clarté de leur rédaction devraient adopter cette première approche.
L’énoncé de thèse peut également être présenté de manière plus implicite. Un énoncé de thèse implicite permet d’atteindre le même objectif tout en étant moins direct. Dans l’exemple suivant, le professeur Pierre Pahl...