L'Alberta Autophage
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L'Alberta Autophage

Identités, mythes et discours du pétrole dans l'Ouest canadien

  1. 400 pages
  2. French
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  4. Disponible sur iOS et Android
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L'Alberta Autophage

Identités, mythes et discours du pétrole dans l'Ouest canadien

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À propos de ce livre

Winner / Lauréate, Prix du Canada en sciences sociales, 2015! http://www.ideas-idees.ca/media/media-releases/winners-canada-prizes-announced-1Finaliste de langue française, Essais, des Prix littéraires du Gouverneur général de 2013!http://ggbooks.canadacouncil.ca/frCet ouvrage présente une analyse discursive des récits identitaires albertains développés par rapport aux ressources pétrolières de l'Alberta, au fil de l'histoire moderne de la province. Par le biais des théories d'analyse du discours, on examine comment les médias canadiens et albertains ont présenté les phénomènes historiques des booms et busts pétroliers, et plus particulièrement comment l'industrie pétrolière canadienne a su récupérer les paramètres de l'identité albertaine pour suggérer une étroite association d'intérêt entre la communauté de l'Alberta et les divers groupes exploitant son pétrole. Pour ce faire, l'auteure établit des comparaisons entre les discours de l'énergie issus du Québec et ceux de l'Alberta, en faisant référence à la culture populaire et à la littérature classique.The stories of Alberta identity that evolved along with the development of the province's oil resources, over the course of Alberta's recent history, fuel this analysis of discourse. The author uses theories of discourse analysis to explore how the media in Canada and in Alberta have presented historical boom and bust phenomena in the oil industry, in particular, how the Canadian oil industry has built on characteristics of Alberta identity to create a close association of interests linking the Alberta community and oil producers. She draws on popular culture and classical literature to compare the discourse on energy in Quebec and Alberta.

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Informations

Chapitre 1
Identités et récits du pétrole
Mais, c’est mon Albertaine !
—Gaston Miron
Le 13 juin 2005, l’hebdomadaire canadien Maclean’s publiait en page couverture le gros titre suivant : « Alberta is about to get powerfully rich. What happens to Canada ? »
En surimpression, une caricature montrait un homme aux larges épaules, coiffé d’un vaste Stetson blanc, chaussé de bottes de cowboy à hauts talons et portant à sa ceinture l’ample boucle métallique caractéristique des ranchers de l’Ouest : on pouvait y décoder sans hésitation la représentation stéréotypée de l’Albertain classique, telle que privilégiée par le reste du pays. Un cigare à la main, il laissait tomber de l’autre quelques piécettes de monnaie dans la sébile d’un petit castor mendiant humblement à ses pieds, image d’un Canada devenu timide et recueillant modestement les miettes du festin né du plus important boom pétrolier de l’histoire de l’Ouest canadien.
Si l’article commentait une fois de plus ce que tous les Albertains étaient en mesure de vérifier quotidiennement, à savoir leur position économique privilégiée à l’intérieur du Canada et les immenses possibilités qui en dérivaient, l’illustration avait le mérite plus précis de réactiver dans l’immédiat les attributs reconnus d’une identité spécifique de l’Albertain telle que projetée par l’imaginaire canadien : mâlitude, virilité, richesse, pouvoir, arrogance, américanité, incivilité et inculture. Qui plus est, cette représentation était réutilisée dans une des illustrations de l’article, dans laquelle on pouvait voir le même cowboy, revêtu cette fois d’une large carte de l’Alberta, faisant allumer son cigare par un falot Ontarien, alors qu’un obséquieux Saskatchewanais s’empressait de lui avancer une chaise et que les Maritimes, sous les traits d’une soumise secrétaire, accouraient avec une tasse de café chaud. Diplomatiquement, l’image du Québec était absente de ce tableau de la servilité canadienne à l’égard des pouvoirs conférés par la possession des ressources énergétiques, à moins que cette éclipse n’ait marqué tout simplement une supposée non-pertinence du fait québécois dans le discours identitaire canadien. Quoi qu’il en soit, une telle vignette était fort éloquente non seulement sur la nouvelle position de pouvoir dont l’Alberta pouvait penser jouir à l’intérieur de la pan-canadianité, mais aussi sur l’élaboration des paradigmes identitaires albertains comme étant étroitement liés au potentiel de ses ressources pétrolières1.
C’est précisément ces rapports entre identité et possession de ressources énergétiques que ce chapitre introductif voudrait examiner ici comme source première de discours sur une représentation de l’énergie pétrolière, à son tour pouvant être « argumentés » dans le discours social. Non pas évidemment que les divers phénomènes corrélatifs à l’énergie s’expriment uniquement en termes identitaires, ni que l’élaboration identitaire albertaine ne se soit exclusivement cristallisée autour de la possession des ressources pétrolières. Cependant, on peut concevoir que l’imaginaire général a pu d’abord se saisir des questions énergétiques comme d’un accessoire important dans l’élaboration d’une représentation d’une collectivité spécifique. Ainsi s’est créée une individualisation au sein du bloc canadien qui fait maintenant concurrence avec succès à la reconnaissance de la distinction québécoise des vingt dernières années. De plus, le discours identitaire élaboré autour des questions pétrolières albertaines dégage aussi plusieurs récits qui sont autant de discours directs sur le pétrole lui-même, sur son intelligibilité comme phénomène et sur son appréhension comme mode de sociabilité.
Il importe donc d’aborder d’emblée l’examen de ces discours identitaires comme forme majeure tangible d’un imaginaire de l’énergie au Canada qui circule abondamment sous forme d’articles, d’éditoriaux, de monographies sur l’histoire de l’Alberta et de livres destinés à un public plus général. Dans ce corpus un peu hétéroclite, nous avons choisi d’isoler l’ouvrage du journaliste canadien Peter Foster, paru en 1979 sous un titre qui allait marquer une ère : The Blue-Eyed Sheiks2. Ouvrage journalistique présentant entre autres les principaux acteurs qui avaient participé de près ou de loin au déploiement de ce qu’il est convenu de désigner comme le premier boom pétrolier albertain (1973–79), cette monographie illustre la constante relevable dans nombre d’ouvrages canadiens sur le même sujet, qui est d’offrir une historiographie mythifiante singulière sous le couvert d’un décompte historique « objectif » des événements. En tant qu’historiographie spécifique, un tel texte est une source privilégiée de thématiques, de topoï, d’argumentaires, de figures, de présupposés, de stratégies rhétoriques et discursives, renseignant de première main sur les discours rattachés aux questions pétrolières en Alberta dans cette décennie soixante-dix. C’est cette époque qui vit s’inscrire plus fermement les paramètres d’une identité pétrolière albertaine telle qu’elle peut être actuellement perçue et, comme nous le verrons, toujours réactivée par différents acteurs du secteur pétrolier de la province.
Blue-eyed sheiks : une métaphore, ses conséquences
Cette expression demeurée célèbre dans la chronique albertaine n’est pas le fait de Foster lui-même, quoiqu’il fût certainement responsable de sa pérennité. C’est l’un des biographes de Peter Lougheed3, premier ministre de l’Alberta de 1971 à 1985 et donc tout particulièrement lors de la crise pétrolière de 1973 à l’origine de la première fortune de la province, qui signala la circulation vers 1974 de ce surnom donné au premier ministre : « the blue-eyed Arab of Saudi Alberta ». Un journaliste ontarien s’empara de la formule pour l’élucider en une chansonnette satirique proposant une illustration plus précise des implications politiques du terme.
I’m the Sheik of Calgary
These sands belong to me
Trudeau says they’re for all
Into my tent, he’ll crawl
Like Algeria did it to De Gaulle
The gas we’ve got today
We just don’t fart away
Gas pain don’t worry me
Cuz I’m the Sheik of Calgary4
En respectant le ton scatologique de ces vers de mirliton, on pourrait risquer cette traduction :
Je suis le Sheik de Calgary
Ces sables m’appartiennent
Trudeau prétend qu’ils sont à tous
Je le ferai ramper sous ma tente
Comme l’Algérie l’a fait à De Gaulle
Le gaz que nous avons aujourd’hui
Nous ne le pèterons pas au vent
Je me fous des coliques
Car je suis le Sheik de Calgary.
On examinera donc les thématiques impliquées par l’emploi du terme, lequel est une métaphore se révélant elle-même riche à son tour d’actes idéologiques conséquents pour les perceptions subséquentes des ressources énergétiques en Alberta. On le voit, la dissection d’une telle chansonnette permet déjà de dégager plusieurs expressions premières, dont s’était emparées par la suite Peter Foster, expressions qui renvoyaient naturellement aux réalités du marché du pétrole des années 1970. Nous citerons fréquemment Foster dans ce chapitre :
Canada had to pay world prices for its imports, so did it look rational to charge lower prices for its sales to the United States and then subject the Canadian consumer in the East to the cold douche of higher oil prices while effectively subsidizing American consumers?
Simon quickly got the message and publicly came out in support of the Canadian policy, openly contradicting the hard line being taken by the U.S. State Department. […]
McDonald told Simon that Canada would, among other things, be phasing itself out of the oil export business completely within 10–15 years; that the United States should not expect a massive development of the Athabasca tar sands and that any such development would be geared to Canadian needs only; that gas exports too were destined to become much more expensive; and that the United States could expect to continue to pay world prices for Canadian oil.
The message said that the Canadian energy ship was in sound condition, but it just wasn’t big enough to take the floundering American economy on board. […]
In American eyes, Canada seemed to have lined up with OPEC. Canadians had become the “blue-eyed Arabs”5.
On pardonnera la longueur de cette citation en ce qu’elle détaille à peu près le contexte particulier qui permit la création de l’expression métaphorique. Le renvoi à l’Arabe est d’abord référence à une similarité de protectionnisme signalant d’emblée l’affirmation stricte d’un propriétaire des ressources. La chansonnette le dit bien : Ces sables m’appartiennent. Comme nous l’avons auparavant signalé, nous aurons l’occasion de revenir sur cette question de la propriété des champs pétrolifères. Mais plus encore, la métaphore inclut d’autres traits paradigmatiques à examiner d’autant plus que, si l’expression semble dater d’une autre époque pour le reste du Canada, les Albertains eux-mêmes n’ont guère eu crainte de la réactiver dans le discours contemporain. À preuve, on pouvait lire dans le National Post de septembre 2004 : « The blue-eyed sheiks have risen again in debt free Alberta, presiding over the Prairie powerhouse as it prepares to net a windfall that will surpass the entire 2004 budget of neighbouring Saskatchewan. » Plus récemment encore, dans un numéro commémoratif somptueux d’un magazine publié pour souligner le centenaire de l’Alberta, dont le titre était Black Gold: The discovery of oil changed the economy and province—forever, on lisait le gros-titre suivant : « With reserves in the oil sands that are second only to Saudi Arabia, it is no wonder Albertans are known as the blue-eyed sheiks6. »
Quoi qu’il en soit, examinons les possibilités herméneutiques du terme.
Renvoi à l’Altérité : L’arabité, si on nous permet ce néologisme, pose d’emblée une différence radicale et sépare irréductiblement le Soi de l’Autre. On n’est littéralement plus de la même race, d’où en fait une légitimation subséquente des difficultés de communication, comme ces rencontres fédérales-provinciales des années soixante-dix d’où, selon la chronique, Peter Lougheed et son ministre de l’énergie d’alors, Don Getty, sortaient en claquant la porte de façon théâtrale, interrompant ainsi la conférence. Le biographe de Lougheed avance même que ces scènes de fureur indignée étaient mises au point d’avance entre les deux comparses. Le néo-Arabe implique ainsi une distance qui annihile un terrain commun, un dialogue possible : on ne peut plus se comprendre dans les mêmes termes. Le contact doit alors se faire dans la précaution, de crainte de susciter trop d’imprévisibilité et d’inattendu, perception de l’Alberta qui perdure aujourd’hui et qui n’est pas sans avantages en situation de négociation7. Dans cette même logique, l’emploi du terme bénéficie aussi secondairement des stéréotypes et préjugés négatifs accolés à l’Oriental : opacité, duplicité et méfiance, traits qui deviennent alors valorisés puisqu’ils signalent toute négociation au sujet du pétrole comme terrain particulièrement délicat d’où doit être exclue toute transparence. L’arabité, c’est l’inconnu qui bouleverse toutes les règles préétablies de la tractation.
Perception géographique : L’arabité pose aussi une reconfiguration du territoire selon deux termes distincts mais complémentaires. En premier lieu, la métaphore pose une équation quasi-morphologique, sinon géologique, entre l’Alberta et l’Arabie saoudite, métaphore confirmant son assise dans l’assertion : ces sables nous appartiennent. On semble insister alors sur la perception d’une désertification physique de l’Alberta qui devient ainsi plus conforme à son modèle, image qui trouve un appui dans le souvenir toujours vivace du « Dust Bowl » des années trente et des sécheresses plus récentes des années 2002–04. Nous ne sommes plus dans la référence des Prairies comme « grenier du monde », mais dans une représentation d’un territoire ontologiquement déshérité, par volonté de modélisation avec l’Arabie saoudite. Il faut cependant garder à l’esprit que les sables bitumineux de l’Athabasca sont en fait situés sous le Bouclier canadien au cœur de la forêt nordique. Ainsi disparaissent également les Rocheuses canadiennes, pourtant riches en ressources aquifères : le paysage doit s’aplatir pour ne pas distraire de ce qui se trouverait en dessous.
Le syndrome de la Terre de Caïn : Cette accentuation des points communs géographiques avec l’Arabie saoudite articule le deuxième terme de la reconfiguration, cette fois-ci sous forme d’un spectaculaire renversement de fatum, que les Québécois, tout particulièrement, pourraient apprécier sous l’appellation que, faute de mieux, nous désignerons comme le « syndrome de la Terre de Caïn ». On se souviendra que c’est là l’appellation que Jacques Cartier avait réservé à la Basse-Côte-Nord et à la Moyenne-Côte-Nord lors de ses premières explorations, devant le spectacle pour lui désolant et inhospitalier de la maigre végétation précairement plantée sur les berges rocheuses du Saint-Laurent8. L’expression était synonyme de terre inculte et stérile d’où toute possibilité de prospérité était exclue : seuls n...

Table des matières

  1. Remerciements
  2. Introduction
  3. Chapitre 1
  4. Chapitre 2
  5. Chapitre 3
  6. Chapitre 4
  7. Chapitre 5
  8. Chapitre 6
  9. Chapitre 7
  10. Conclusion
  11. Épilogue
  12. Bibliographie
  13. Notes